La sueur, le sang et la mort dans votre portable

Terres rares et guerres durables

Sait-on seulement que les ballets diplomatiques musclés entre les États-Unis, la Chine et la Corée du Nord ont pour principal enjeu l’accès aux terres rares ? Connaît-on le lien entre la persécution des Rohingyas de Birmanie et l’accaparement de leurs terres par les militaires à des fins d’exploitation minière ?

Au moins, on peut faire confiance à la banque Goldman Sachs quand elle qualifie le cobalt de « nouveau pétrole ». La rapacité pour les terres à minerais rares – nécessaires aux technologies actuelles (batteries de smartphones, écrans tactile…) et à la transition énergétique « décarbonée » (panneaux photovoltaïques, éoliennes, véhicules hybrides, ampoules LED ou trottinettes électriques…) – promet surtout de nouvelles « routes de la soie ensanglantées » et une spirale d’exploitation des êtres humains et de leur environnement. C’est ce que démontrent implacablement un livre et une brochure, sortis en 2018 1.

« Les employés d’Apple [...] créent des merveilles qui révolutionnent des secteurs entiers. C’est la diversité de ces employés et de leurs idées qui est l’origine de l’innovation présente dans tout ce que nous entreprenons, de notre incroyable technologie à nos initiatives environnementales de référence. Rejoignez Apple et aidez-nous à rendre le monde meilleur. » Derrière cette novlangue publicitaire sauce green tech enchanteresse, la réalité est bien plus obscure. Les deux textes nous font découvrir la face cachée des « technologies vertes ». Commerciales, de basse ou de haute intensité, ces « guerres pour les métaux rares » ne prononcent jamais leurs noms barbares : cobalt, scandium, cérium, lithium, silicium, nickel, graphite, etc.

Sait-on seulement que les ballets diplomatiques musclés entre les États-Unis, la Chine et la Corée du Nord ont pour principal enjeu l’accès aux terres rares ? La Chine, devenue leader dans les technologies de la transition énergétique, détient 95 % de ces terres. Ainsi le plus grand employeur de Chine, la multinationale Foxconn, basée à Taïwan, fournit les composants électroniques aux grandes sociétés de téléphonie, comme Apple, Nokia, Motorola ou Dell. Derrière l’opacité du système Foxconn, tout n’est qu’exploitation forcenée : règles de sécurité inexistantes, « camps de travail forcé », suicides d’ouvriers, salaires non payés, etc.

Connaît-on le lien entre la persécution des Rohingyas de Birmanie et l’accaparement de leurs terres par les militaires à des fins d’exploitation minière ?

Plus documenté, le cas de la République démocratique du Congo : le travail de plusieurs dizaines de milliers d’enfants à partir de 3 ans dans les mines de cobalt aux mains de groupes paramilitaires et de mafias revient heurter régulièrement nos consciences connectées.Mali, Niger, Libye, Irak, est de la Syrie, Afghanistan, Somalie, etc. : les terres rares convoitées sont présentes au cœur des zones de conflits impérialistes actuels.

Rien de nouveau sous le soleil noir du capitalisme ? À ceci près que cette fuite en avant destructrice, mue par par la soif du profit, se drape de vertus écologistes : « Comme il se devait, le capital s’est emparé de l’idéologie des “énergies renouvelables” prétendument non polluantes », souligne la brochure d’Échanges et mouvement (É&M). Outre les pollutions multiples liées à l’extraction, des montagnes de déchets seront bientôt là pour nous rappeler (trop tard ?) à la réalité : « La quantité mondiale d’e-waste est estimée pour 2018 à 50 millions de tonnes, en croissance annuelle de 4 % à 8 %. Chaque jour, le monde se débarrasse de 416 000 mobiles et de 142 000 ordinateurs. Seulement 15 % à 20 % du total sont recyclés, ce qui fait qu’on est bien loin de l’énergie renouvelable et d’une récupération totale. »

Si l’analyse d’É&M débouche sur la nécessité d’une prise de conscience urgente face à ce suicide organisé, on reste atterré par la conclusion du livre de Guillaume Pitron, qui ne dépasse pas la logique productiviste et extractiviste. Tout en soulignant l’incohérence des ONG écologistes qui « dénoncent les effets du nouveau monde plus durable qu’elles ont elles-mêmes appelé de leurs vœux », l’auteur plaide pour une extraction bien de chez nous afin d’éviter l’externalisation des nuisances : « La mine responsable chez nous vaudra toujours mieux que la mine irresponsable ailleurs. »

Pour ceux qui en doutaient encore : l’enfer capitaliste est désormais pavé des meilleures intentions écologistes.

Mathieu Léonard

1 Guillaume Pitron, La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui libèrent, 2018. Et surtout Mosin, Progrès et barbarie. Terres rares, lithium, cobalt  : l’innovation capitaliste qui tue, Échanges et mouvement, septembre 2018, 88 pages. À commander à echanges.mouvement@laposte.net.

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