Foot populaire vs foot business

Terre promise

Sur le terrain dessiné dans le sable, avec d’un côté la marée montante et de l’autre les barbelés d’une villa comme lignes de touche, de jeunes garçons, et aussi des filles – pagne noué autour des seins en dispositif spécial amorti de la poitrine –, jonglent avec une balle dix fois rapiécée. Félins, ils la caressent et la martyrisent avec exigence et fantaisie. À deux pas de là, un rasta, debout sur un rocher rouge, chante face à la mer. Des écoliers révisent à l’ombre du baobab. Des rappeurs lézardent sous la coque d’une barque échouée et échangent des mots vifs avec les joueurs, mélange de verlan français, de soussou urbain et de pidgin english… ; aussi une cigarette d’herbe et quelques brisures de noix de coco. Corps à demi-nus luisants de sueur, réparties loufoques, rires cinglants. Bientôt les pêcheurs viendront effacer les traces de ce match avec l’étrave de leurs pirogues dégorgeant de poiscaille frétillante. Les porteurs chaparderont deux ou trois capitaines, une poignée de bongas dans leur caleçon, avant de les refiler en douce aux grandes sœurs qui, elles, les escamoteront sous le pagne : juste là où ce matin elles courtisaient le ballon du Founfounyi FC.

Cette équipe, c’est celle des Saupoudreurs de Dixinn – la plus turbulente, déjà une légende, avec son meneur de jeu, Prince Abdoulaye Rijkaard. La bande à Abdou s’est fait une réputation en défiant les uns après les autres tous les clubs de la capitale. Ce soir, elle va interrompre la circulation automobile avec des blocs de béton pour jouer en travers de la rue en terre battue, là où la veille un exorciste a enterré en grande pompe des grigris censés sauver une voisine possédée par un mauvais esprit, et recevoir les visiteurs du Sporting Madina comme ils le méritent. Alors, en oubliant quelques minutes les esclaves millionnaires du Real Madrid, tout le quartier chantera qu’on peut vivre comme ça, pour le plaisir, la balle au pied.

Par Alice Bossut.
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