TF1 auxiliaire des douanes
Temps de cerveau embastillé
Lundi 22 novembre, au soir. À proximité du stade Vélodrome, dans les beaux quartiers de Marseille, des douaniers contrôlent les véhicules. Ce barrage fait partie de la « thérapie de choc » annoncée deux jours auparavant par Hortefeuer. Le ministre de l’Intérieur venait de sauter sur la ville alors qu’un jeune de 16 ans avait été tué et un gamin de 11 ans grièvement blessé lors d’une fusillade dans un quartier populaire du nord de la cité.
Les fonctionnaires arrêtent une Porsche Cayenne : dans le coffre une kalachnikov. Bingo ! Arrestation du conducteur et de sa compagne et en route vers le bureau des douanes. Dans sa livraison du 1er décembre, Le Canard enchaîné raconte l’affaire. En chemin, un coup de fil ordonne aux fonctionnaires de revenir sur le lieu de l’interpellation : TF1 souhaite filmer la découverte de l’arme. Et sous les projos, on rejoue la scène. On replace la kalach, un douanier soulève une pièce de tissu dans le coffre arrière de la Porsche, découvre l’arme et la montre aux caméras de TF1 et aux journalistes arrivés entre temps sur place. La séquence sera diffusée, sans la mention « reconstitution », lors du JT de Jean-Pierre Pernaud ainsi que dans celui du soir. Et reprise par France 3.
« Le fait que mon client soit aujourd’hui incarcéré est en partie le résultat de la médiatisation de cette affaire. La scénarisation n’a pas sa place dans une procédure judiciaire, affirme Sophie Bottai, avocate du détenteur de l’arme. Lorsqu’il a été contrôlé, il a immédiatement déclaré au fonctionnaire qu’il avait fait une bêtise. C’est lui qui a indiqué qu’il détenait une arme interdite. Il n’y avait ni chargeur, ni munitions. La séquence montrant un douanier découvrant la kalachnikov dans le coffre de la voiture est un faux. »1 L’homme confiera le lendemain à son défenseur sa surprise et son incompréhension lorsque la voiture des douanes a fait demi-tour pour revenir sur le lieu de l’interpellation.
Poursuivi pour transport, détention et contrebande d’arme de guerre, il est, selon les critères policiers et médiatiques en usage, « inconnu des services de police », dispose d’un travail et offre des garanties de représentation. « Il n’a rien d’un malfrat, poursuit l’avocate, il fait commerce de voitures de luxe. Il s’était procuré cette arme pour se protéger. L’année dernière, un marchand de voitures avait été abattu lors d’un braquage à La Valentine, dans un quartier est de la ville. Mon client était inquiet. Il voulait impressionner d’éventuels agresseurs sans pour autant mettre leur vie en péril. La preuve, l’arme n’avait pas de munitions et était donc impropre à tout usage. » Cette scénarisation de l’arrestation peut-elle constituer un vice de procédure ? Réponse de maître Bottai : « D’un point de vue éthique, le fait que des fonctionnaires, policiers ou douaniers, et de hautes autorités de l’État se prêtent à ce genre de mise en scène est gravement dommageable. Je me réserve la possibilité de déposer une plainte contre ceux qui ont organisé une telle situation et contre les médias qui s’en sont rendus complices. Pour l’heure, je vais déposer au plus tôt une demande de mise en liberté. » L’accusation ne risque-t-elle pas de s’appuyer sur la reconstitution de l’arrestation plutôt que sur ce qui s’est réellement passé ? « Les images laissent entendre que mon client dissimulait l’arme. Ce n’est absolument pas le cas. Elle était simplement posée dans son coffre. C’est vrai que je n’ai pas été sans penser à l’affaire de Florence Cassez, cette jeune fille emprisonnée au Mexique pour enlèvement. Son arrestation scénarisée et massivement diffusée par les médias a lourdement pesé sur sa condamnation. » Et l’avocate d’insister : « S’il n’y avait pas ce contexte politico-médiatique, mon client aurait pu être relâché après sa mise en examen. »
C’est dans le même sac que sont mis cet homme arrêté en possession d’une kalachnikov sans munitions et le bazar découvert dans quelques caves ou parkings : pièces de voitures (capots, portières, moteurs), véhicules et scooters volés, ou encore matériel de fabrication de plaques d’immatriculation. Quant au fusil d’assaut M 16 et à la kalachnikov présentés comme des prises d’importance, La Provence évoque des « armes lourdes », plusieurs médias – tels que Le Parisien et 20 Minutes du 28 novembre – précisent qu’il s’agit de répliques, sans indiquer si ces dernières seraient ces copies en plastique que l’on trouve chez le commerçant du coin… Les drames sanglants qui endeuillent les quartiers Nord sont, contrairement à la misère quotidienne, l’occasion pour les journalistes de faire le plein de sensationnalisme et pour les politiciens de camper de bonnes vieilles postures électoralistes. Même la bouche de Rachida Dati le reconnaît (Les Échos du 1er décembre) : « Les opérations coups de poing, comme celles annoncées à Marseille, sont souvent plus spectaculaires qu’efficaces… » Et TF1 est un partenaire de choix pour assurer un show réussi, n’oubliez pas de l’appeler la prochaine fois.
1 Le CSA a décidé le 8 décembre de « mener l’enquête » sur un hypothétique « manque de rigueur » de TF1. Les investigations devraient durer deux mois avant que les conclusions ne soient présentées en assemblée plénière. En cas de faute, la sanction pourrait aller de la simple mise en garde à, carrément, la mise en demeure. Autant dire que ça flippe grave chez TF1 !
Cet article a été publié dans
CQFD n°84 (décembre 2010)
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Paru dans CQFD n°84 (décembre 2010)
Par
Illustré par Mric
Mis en ligne le 15.12.2010
Dans CQFD n°84 (décembre 2010)
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