Sicile : « Je prends un logement »

Le centre social sicilien ExKarcere a été ouvert à Palerme, en 2001, quelques mois avant les événements de Gênes. Aujourd’hui, malgré les menaces et intimidations, le collectif d’occupant.e.s continue d’œuvrer au bien commun – sans chercher la paix sociale.

Situé en plein cœur de la vieille ville de Palerme, le centre social ExKarcere se veut ouvert sur la ville et offre aux habitants une aide concrète pour le droit au logement, une salle de sport populaire, des activités extrascolaires gratuites pour les enfants. Les locaux accueillent diverses associations qui y organisent des débats ou des soirées festives, dont le collectif féministe Anillo de fuego. Le tout est autogéré et se finance en partie par des repas solidaires. Les fauteuils provenant d’un théâtre ou d’un cinéma alignés sous le porche font comprendre immédiatement que c’est un lieu d’accueil, mais les affiches aux murs ne laissent aucun doute sur les motivations de ceux qui animent ce lieu : ici, on lutte.

ExKarcere a vu le jour en 2001 dans le quartier populaire de Ballarò, sur les lieux d’une ancienne prison pour femmes désaffectée depuis vingt ans. C’était l’année du G8 à Gênes, moment politique propice à la création d’un espace de ce type, dans lequel expérimenter des formes de relations libérées de la question de l’argent, sur un modèle anticapitaliste. Puis le centre social a été expulsé de ses locaux d’origine et après quelques tentatives d’investir de nouveaux lieux, le collectif s’est finalement installé en janvier 2012 un peu plus loin, dans un autre quartier populaire du centre, la Vucciria, occupant des locaux municipaux laissés à l’abandon via San Basilio.

Dès le départ, la trentaine de jeunes gens du collectif a rénové les bâtiments en ruines. L’ensemble recouvrait un ancien couvent et une salle de sport. Peu de temps après, l’ExKarcere redevenait lieu de vie, un « bien commun » comme le rappelle le nom de l’association « San Basilio Bene Comune » qui y a son siège : les habitants du quartier ont pu bénéficier dès février 2012 de cet espace à travers diverses activités, ouvertes à tous à partir de six ans. Aujourd’hui, il y a environ quatre-vingt inscrits, qui peuvent participer à toutes les activités sportives pour 15 euros par mois. Et s’ils n’ont pas la somme nécessaire, ça ne fait rien, ils peuvent tout de même participer. La boxe est le sport le plus pratiqué, mais on y pratique aussi le foot, la danse, le volley. Des jeunes viennent de toute la ville pour s’y entraîner : étudiants, chômeurs ou ouvriers, hommes ou femmes, palermitains depuis plusieurs générations ou enfants d’immigrés. On peut aussi y croiser des boxeurs professionnels.

En octobre 2012, le collectif a été à nouveau menacé d’expulsion et a reçu le soutien des habitants du quartier, mobilisés pour s’opposer à l’évacuation prévue en décembre 2013. Victoire ! Le collectif a même reçu le soutien du conseil de la première circonscription de la ville, qui a su y voir le bénéfice des habitants. Des négociations ont été ouvertes avec le maire, Leoluca Orlando, qui a évoqué la possibilité de reconnaître à l’association le droit d’utiliser gratuitement les lieux. Depuis, rien.

Verdiana, membre du collectif de gestion du centre, le décrit volontiers comme enraciné dans la ville, dans la droite ligne des mouvements des années 1970. Un lieu d’expérience politique. Il s’agit d’être présent sur toutes les questions de la ville, pour se la réapproprier. Tout part « d’en bas », on ne demande pas, on revendique et on prend. Dès l’entrée, plusieurs affiches, dont une qui détourne le logo d’une agence immobilière et annonce sans détour « Prendo casa  » : « Je prends un logement. » Cette lutte pour le droit au logement n’est pas nouvelle à Palerme. Verdiana cite l’exemple de logements sociaux via Tiro a Segno qui n’ont jamais été attribués et ont donc été occupés par des familles spontanément : on avait besoin de se loger, il y avait des locaux, il fallait les prendre. En 2013, une cinquantaine de familles palermitaines ont été menacées d’expulsion, elles avaient envie de s’organiser et la rage de réussir. Plusieurs d’entre elles se sont installées devant la mairie et le collectif leur a prêté main forte, comme il continue de le faire quotidiennement, en s’opposant physiquement aux expulsions et en apportant une aide juridique aux personnes menacées. Depuis quelques années, Palerme a changé, et les prolétaires ont commencé à quitter le centre pour la périphérie. Il reste dans la ville des espaces disponibles, parfois laissés à l’abandon, que le collectif n’entend pas céder à la gourmandise des spéculateurs immobiliers. La communauté pourrait en bénéficier, une fois réaménagés en lieux de vie.

Ce n’est pas pour acheter la paix sociale que le collectif se substitue à l’État en offrant des services nécessaires à la vie du quartier, comme les activités extrascolaires pour les enfants, précise Verdiania : il s’agit plutôt d’impliquer les familles dans la lutte. Pour elle, la politique des partis est de plus en plus éloignée des réalités du peuple, et doit être remplacée par une action venue d’en bas. Le pouvoir ne s’y trompe pas : il a bien tenté de museler les activistes et de faire fermer le centre. En mars 2015, dix-sept d’entre eux ont écopé de mesures préventives avec obligation de se présenter chaque jour au commissariat, accusés d’association de malfaiteurs – chef d’accusation habituellement réservé à la mafia ou aux groupes terroristes. Ils ont reçu un soutien immédiat de la population et de personnalités politiques : les poursuites ont finalement été abandonnées. À cette chasse aux sorcières, Verdinia répond par un optimisme combatif : « La révolution, on est déjà en train de la faire. Ce qu’on construit, ici, ce sont des faits politiques. »

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