Salopettes contre salopards
Je ne sais plus dans quelle contrée d’Espagne libérée par la colonne Durruti pendant la guerre civile l’assemblée des insurgés du coin réimaginant le vivre ensemble décréta le port obligatoire de… la salopette. Pour parcourir mes considérations hâtives sur l’utopie et le mouvement ouvrier, je m’en voudrais d’insister pour que vous vous mettiez en bleu de chauffe.
La gidouillarde (800 pages !) Histoire des mouvements sociaux en France de 1814 à nos jours, orchestrée par Michel Pigenet et Danielle Tartakowsky (La Découverte), décrit, parfois assez professoralement mais avec la rigueur documentaire et le sens du rythme qui s’imposaient, toute une branlée de conjurations et de révoltes corsées qui auraient pu déboucher sur une réinvention intrépide de l’organisation sociale : les barricades de juin 1832, l’AIT, le luddisme, la Commune de Paris, l’insurrection des Canuts, la rébellion des vignerons du Midi (1907), l’éphémère utopie de Saint-Louis (1877), les grèves dures de 1931 et 1995, les nouvelles jacqueries (années 1960), les émeutes urbaines et les explosions sexuelles d’aujourd’hui.
Dans Histoire et combats (éd. D’en Bas/Collège du travail), Marc Vuilleumier fait revivre lui aussi l’épopée des luttes prolétaires de la moitié duXIXe siècle (1864) à 96 ans plus tard. Mais il a l’avantage d’être moins dispersé vu qu’il turbine sur un sujet bien circonscrit, le socialisme offensif en Suisse, et qu’il est seul maître à bord en ayant clairement choisi son camp : celui de la démocratie directe à toute épreuve. C’est dire que Vuilleumier raconte, entre autres, avec une minutie stimulante, la première Internationale à Genève, le déferlement en Suisse des exilés communards, la saga du syndicalisme révolutionnaire, la fameuse grève générale de 1918 et les menées des fers de lance anars des divers soulèvements, Bakounine, James Guillaume, Adhémar Schwitzguibel et le formidable Fritz Brupbacher. À côté de ça, on apprend plein de trucmuches sur la première coopérative de consommation parrainée par l’utopiste Victor Considérant, sur les petits noyaux fouriéristes de Zurich, sur le départ au Texas en 1955 de l’agitateur Karl Bürkli pour y créer un phalanstère.
« Mes principes politiques, ne cessera de trompeter Bürkli, sont ceux de la démocratie pure (pas de la démocratie représentative) dans laquelle le peuple, libre de toute vassalité, réparti en sections de communes, établit lui-même les lois. » Mais le franc-tireur eut beau préciser que cette « démocratie pure », dont les délégués devaient pouvoir être révoqués à tout moment, c’était pour lui « le dernier stade avant la dissolution complète de l’État dans une société harmonienne » à la Fourier, ses programmes réformateurs furent constamment envoyés aux pelotes par ses camarades anarchistes. Pour ceux-ci, la législation directe immédiate qu’il proposait, c’était « la démocratisation absolue du pouvoir autoritaire ». Pour l’adopter et la généraliser, il fallait d’abord que « les pauvres diables habitués à la soumission aux plus forts » fassent la révolution.
Cet article a été publié dans
CQFD n°111 (Mai 2013)
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Paru dans CQFD n°111 (Mai 2013)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 08.07.2013
Dans CQFD n°111 (Mai 2013)
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