Être un homme féministe implique de reconnaître qu’il y a deux camps et que l’un est moins fort que l’autre. C’est être affilié, par le biais de son genre, au camp des violeurs, des harceleurs et des clients de prostituées, mais affirmer : « Je ne suis pas comme eux » – sans endosser leur culpabilité ni en faire des monstres [1]. C’est s’approprier le mot « féministe », dans lequel on entend « pour les femmes » plutôt que « pour l’égalité entre hommes et femmes », qui fige la dichotomie hommes-coupables / femmes-victimes. C’est traquer en soi un genre de virus si bien ancré qu’on dit souvent d’un homme, même ami, qu’il a « des restes de misogynie en lui » ; c’est porter ce combat sans confisquer la parole à des femmes déjà trop souvent muettes ; c’est faire sienne l’idée que les hommes souffrent eux aussi du patriarcat et renoncer au droit de mettre les pieds sous la table en échange du droit de pleurer si on est triste. C’est se retrouver face à des injonctions contradictoires, tâtonnements inévitables dans une redistribution des rôles d’une telle ampleur – et louvoyer au milieu des « soyez respectueux mais pas charmeurs, attentifs mais pas protecteurs » – tout en protégeant ce qu’on considère, au-delà du genre, comme constitutif de sa personnalité [2].
La sincérité du féminisme des hommes s’éprouve dans les comportements quotidiens. Nombreux sont les atavismes dont l’abolition exige un effort permanent, effort à investir dans des tâches aussi prestigieuses et rémunératrices que la vaisselle et le changement de couches. Cette attention de tous les instants n’est pas moins difficile à fournir par une femme féministe, astreinte à retenir dans sa gorge ses « Je sais mieux le faire, ça ira plus vite » et à plonger les mains sans broncher dans ce siphon infect bourré de crasse dégueu. Mais par-delà les scories, être un homme féministe, ne serait-ce pas, aussi, parvenir enfin à élaborer un dialogue intime entre hommes, une parole sur le sexe dont on ne craindrait pas qu’elle soit vulgaire ni compétitrice, un discours sur les sentiments qui s’intéresserait vraiment aux faiblesses, aux déraillements ; et prendre cette liberté-là sans faire appel aux femmes ?