Quand le peuple s’y mettra…
Peu connue, la révolution de Juillet 1830 ! Pourtant, c’est bien lors de ces journées que le peuple de Paris pose les premiers jalons d’une classe ouvrière en devenir. Contexte : cela fait maintenant plus d’une dizaine d’années que la France – avec l’Angleterre – est parcourue par des mouvements de résistance à la mécanisation. Les typographes parisiens sont en première ligne et ont déjà exprimé leur colère en 1827. Pour tenter de regonfler sa cote de popularité et le moral de la nation, Charles X vient de lancer les troupes françaises à la conquête de l’Algérie. Raté : en juin 1830, l’opposition libérale gagne les élections. Le roi, dépité, réplique par une série d’ordonnances qui suppriment la liberté de presse, dissolvent la Chambre et augmentent le cens. Pour mémoire, c’est une époque où les minots triment jusqu’à quatorze heures par jour pour un salaire de 45 centimes. Femmes et hommes bossent des journées de 18 heures et touchent respectivement 1 et 2 francs. Les effets du krach de la bourse de Londres en décembre 1825 ont encore aggravé les conditions de vie des classes populaires. Le pain est hors de prix. On mange de la mauvaise farine, les épidémies pullulent. Quand le populo ouvre sa gueule, des cours prévôtales, véritables juridictions d’exception, l’assomment de peines délirantes de travaux forcés ou de prison. Aussi, quand tombent les ordonnances, le peuple devient tout colère. Le 26 juillet, des étudiants et des ouvriers regroupés dans l’Association des patriotes, rassemblant environ 10 000 membres1, clament les textes royaux dans les rues de la capitale. Au soir, certains vont casser les télégraphes Chiappe assurant le lien entre Paris et la province, pendant que d’autres détruisent l’éclairage public. Au matin du 27, quatre journaux sortent malgré l’interdiction. Intervention de la police. Premiers affrontements. Dans le Faubourg Saint-Antoine, plus de 5 000 artisans pillent les armureries. Une colonne d’insurgés file vers le centre-ville. À onze heures, le tocsin appelle à l’insurrection qui va durer trois jours. Dans les quartiers populaires, sur les deux rives du fleuve, on dresse des barricades. Il y en aura plus de 4 000. Tout est bon pour monter sa redoute : pavés, charrettes, charpentes, omnibus, cadavres de chevaux. Claquemurés dans leur logis, les bourgeois observent avec frayeur les évènements, pendant que, lancés du haut des immeubles, pavés, tuiles et meubles font des dégâts considérables dans les rangs de la garde royale. Tout le monde prend part à l’émeute : artisans, ouvriers, anciens des campagnes napoléoniennes, femmes, enfants. Dans sa chronique de juillet 1830, Rozet relatera : « Un homme du peuple qui combattait avait pour lui tout le monde ; un soldat avait contre lui tout le monde. Dès qu’un homme du peuple avait tiré son coup de fusil, une porte s’ouvrait pour le recevoir, et se refermait sur-le-champ, pour qu’il pût recharger son arme en sûreté. »2 Le 29 juillet, le château des Tuileries tombe. La famille régnante a mis les bouts et la garde royale s’est repliée sur Saint-Cloud. On pose son cul sur le trône. On fête ! On a gagné, après tout ! Mais pas pour longtemps : les députés libéraux font leur retour. Une commission, rapidement élue, s’installe à l’hôtel de ville. On félicite le peuple, bien sûr, mais, maintenant, il doit passer la main aux professionnels. Car en fait de république appelée de ses vœux par la populace, les élus n’en veulent pas vraiment. Pas du tout même. Alors, on trouve un palliatif qui devra contenter son monde dans cette époque où les idéaux de la Révolution française sont encore dans les esprits : on va remplacer Charles X, membre de cette caste des Bourbons détestée par tous, par un Valois, le duc d’Orléans, futur Louis-Philippe, qui sous les traits d’un opposant modéré aux ultras royalistes va sans tarder favoriser la bourgeoisie manufacturière et plonger dans la misère les ouvriers. Infecte embrouille qui ne fera que retarder de peu les prochains embrasements populaires…
1 Cette société secrète créée en janvier 1830 va dans les mois précédant l’insurrection se consacrer au recrutement et à l’entraînement de plusieurs milliers de personnes de tous âges et de toutes professions. Son projet : « faire tourner au profit du peuple les tentatives qu’on pourrait oser contre lui. »
2 Cité dans Laurent Louessard, La Révolution de Juillet 1830, éditions Spartacus, 1990.
Cet article a été publié dans
CQFD n°84 (décembre 2010)
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Paru dans CQFD n°84 (décembre 2010)
Dans la rubrique Les vieux dossiers
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Mis en ligne le 02.01.2011
Dans CQFD n°84 (décembre 2010)
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