L’enfermement des enfants aujourd’hui
« Quand ils ressortent, ils sont beaucoup plus en colère... »
Le 1er juillet, le ministère de la Justice dénombrait 670 mineurs écroués. La plupart dans des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), les autres dans les quartiers dédiés des prisons pour adultes. Mais l’archipel d’enfermement des adolescents ne s’arrête pas là : en plus des jeunes étrangers qui attendent avec leurs parents leur expulsion en centre de rétention administrative, plusieurs centaines d’adolescents sont bouclés dans des centres éducatifs fermés (CEF). Une réponse coercitive à la délinquance qui accapare les budgets – au détriment des structures ouvertes – et l’attention des gouvernements : à la cinquantaine de CEF ouverts depuis le début des années 2000, la Macronie a promis d’en ajouter vingt supplémentaires.
« Chez les sécuritaires de tout poil, dénonce Carlos Lopez, il y a toujours cet idéal illusoire : trouver le projet parfait mêlant éducation et incarcération, puisque bien sûr, tout va être résolu par les murs… » Éducateur à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), notre interlocuteur travaille du côté de Clermont-Ferrand dans une Unité éducative d’activités de jour (UEAJ) : une structure ouverte où sont accueillis « en grande majorité des jeunes sous main de justice », pour des « activités sociales, scolaires et professionnelles : il s’agit d’essayer de les remobiliser ». Ancien membre de la direction du Syndicat national des personnels de l’éducation et du social (SNPES-PJJ/FSU), Carlos Lopez fait aussi partie du conseil d’administration de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP).
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Qui sont les adolescents qu’on enferme en prison ?
« Déjà, on peut remarquer que plus de 80 % des enfants incarcérés n’ont pas (encore ?) été condamnés : ils sont en détention provisoire. Chez les adultes, la proportion est plutôt inverse. Ces jeunes sont majoritairement poursuivis pour des faits relevant du tribunal correctionnel (vol simple, violences, dégradations, etc.) ; on n’est donc pas dans l’image de l’enfant criminel. Ce qu’on peut dire aussi, c’est que les adolescents détenus viennent surtout des milieux les plus pauvres : ils sont souvent issus des quartiers populaires, avec des parcours de vie difficiles, des conditions de vie sur les plans social et matériel extrêmement dégradées. Il y a aussi beaucoup de MNA [“mineurs non accompagnés”, anciennement appelés “mineurs étrangers isolés”]. Ça tient notamment au fait que contrairement à beaucoup d’autres jeunes, les MNA ne disposent souvent d’aucune garantie de représentation, notamment d’un domicile ; les juridictions ont donc tendance à les incarcérer plus facilement [pour s’assurer qu’ils ne disparaissent pas dans la nature]. Dernière chose : les enfants qu’on met en prison sont dans leur grande majorité des garçons. »
En dehors de l’incarcération proprement dite, il existe aussi des centres éducatifs fermés (CEF), décrits par leurs partisans comme une alternative à la prison...
« Ce sont de vrais lieux de privation de liberté, avec une double fermeture. D’abord, une fermeture physique, avec des barrières, des systèmes de surveillance électronique, etc. Mais aussi une fermeture juridique : une fugue peut être considérée comme une évasion et donner lieu à une révocation du placement – et donc à une incarcération. C’est notamment pour ça que la Commission nationale consultative des droits de l’Homme a estimé que les CEF sont souvent des “antichambres de la prison”. »
L’enfermement des mineurs repose en partie sur l’idée qu’il produirait une sorte de choc, entraînant chez le jeune une remise en question. En réalité, quel effet ça peut avoir ?
« Pour faire un vrai travail éducatif, il faut que l’enfant adhère un minimum. Or, en CEF comme en prison, il n’a pas le choix. Et puis l’enfermement finit toujours par créer chez ces jeunes un sentiment de révolte, de colère. Ce ne sont pas des saints non plus, ils peuvent poser des actes et adopter des attitudes insupportables, mais en réponse, ils finissent, dans ces structures, par être eux-mêmes victimes d’atteintes à leurs droits [par le personnel encadrant]. Ça peut passer par des violences physiques, des privations, des humiliations. Les lieux fermés finissent par générer leurs propres règles, qui dérogent au droit général. Les gens qui y travaillent, souvent peu ou mal formés, sont entre eux, dans des endroits physiquement ou géographiquement isolés, sans lien avec les autres structures éducatives… Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a rendu de nombreux avis faisant ces mêmes constats.
De toute façon, la solution de l’enfermement n’est que transitoire. Quand les jeunes sont enfermés, ils n’ont pas la possibilité de travailler leurs difficultés autrement pour s’en sortir. On les met à l’écart, on les enferme pour qu’ils ne soient pas turbulents à l’extérieur, dans leurs quartiers, mais quand ils ressortent, ils sont beaucoup plus en colère, parce qu’ils ont pu vivre des choses de l’ordre de l’injustice, et au final on n’a pas pu avancer sur leurs problématiques. »
Pourtant, depuis une vingtaine d’années, les gouvernements qui se succèdent ne cessent de défendre des politiques qui vont dans le sens de plus d’enfermement…
« Comme les précédents, le gouvernement actuel est dans une optique d’inflation carcérale, laquelle accompagne les politiques sécuritaires qui rendent de plus en plus dur le traitement de la délinquance et des comportements illégaux. Avec des procédures de plus en plus accélérées, une justice des mineurs de moins en moins spécialisée, de plus en plus calquée sur celle des majeurs. D’ailleurs, le taux de réponse pénale est plus important pour les mineurs que pour les majeurs, ce qui donne à réfléchir quand on entend que la justice est laxiste... Le nouveau code de justice pénale des mineurs, censé entrer en vigueur l’année prochaine, est dans cet esprit-là. Et puis il évacue complètement l’aspect “protection”, le fait que ces gamins sont eux-mêmes en danger, que beaucoup de ceux qui ont maille à partir avec la justice ont vécu des moments difficiles, des problèmes familiaux. Certains sont passés par la protection de l’enfance avant de basculer. »
Est-il possible d’éduquer en prison ?
« Ça dépend de la définition qu’on donne à l’éducation : pour moi, éduquer, c’est amener vers la liberté. Et prendre des risques : c’est ce qu’on appelle le pari éducatif – dire à un jeune “Bon, tu déconnes, mais on peut essayer ça” tout en sachant qu’il y a une chance sur deux que ça ne se passe pas comme attendu. Ce pari éducatif est-il possible dans un lieu fermé tel que la prison ? Non. »
Quelles alternatives, alors ?
« La liberté, les milieux ouverts. Le coût de la prise en charge d’un mineur en centre fermé, c’est en général entre 700 et 800 € par jour. Tous ces moyens, il faudrait les mettre ailleurs, notamment dans des centres comme le mien. La structure où je travaille, il n’y en a qu’une seule pour quatre départements en Auvergne... Mais le gouvernement préfère construire vingt nouveaux centres fermés. »
Cet article a été publié dans
CQFD n°191 (octobre 2020)
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Paru dans CQFD n°191 (octobre 2020)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par L.L. de Mars
Mis en ligne le 04.11.2020
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