Dossier « Un peu de l’âme des bistrots »
Prendre le maquis
« Maquis ». Dans le langage très imagé de l’Afrique de l’Ouest francophone, le terme semble provenir de la période des indépendances. En effet, pendant cette transition mouvementée, les nouveaux dirigeants imposaient des couvre-feux, des interdictions de réunion et, bien sûr, la vente et la consommation d’alcool étaient prohibées. C’est pour contourner ces interdictions qu’auraient été créés « les maquis », espaces clandestins dans les arrière-cours de certaines maisons. Le « maquis » ferait référence à la brousse, car on peut, malgré l’interdiction formelle, y acheter ou manger de la viande d’animaux sauvages très prisée par les citadins.
À Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, et ses 1,7 million d’habitants, on recense quelques 4 000 maquis, soit un maquis pour 425 habitants. Aujourd’hui, ces endroits populaires se déclinent sous toutes les configurations : bars, restaurants, dancings, petits locaux de fortune construits dans le prolongement d’une cour familiale, souvent sans autorisation, cabane bringuebalante accompagnée de tables et chaises rouillées éparpillées sur un terrain vague, comptoir et terrasse en dur sous pergola, ou grande cour fermée à la décoration ciblée avec piste de danse et grosse sonorisation.
Le maquis est au cœur de la vie quotidienne des Ouagalais. Ici, le manger et le boire sont indissociables. Selon les endroits et à toute heure, on trouve du tô, pâte de farine de mil servi avec une sauce gombo ou à l’oseille, du riz en sauce, du riz gras, des brochettes en tout genre dont la plus cocasse : la brochette de gras jaune de bosse de zébu, du porc au four, prononcé « porkofou », qui est cuit entier dans un four en terre puis découpé grossièrement à la machette, pouvant occasionner à sa sortie quelques bousculades pour en choisir les meilleurs morceaux et puis enfin et bien sûr les fameux poulets « télévisés1 », « bicyclettes2 » et « sur pattes3 ». Tout cela s’accompagne exclusivement de bières locales ou, pour les plus sobres, de « sucreries4 » et tout sur la table est mis en commun.
Au maquis on rencontre toutes les catégories sociales – bien que certains maquis, surnommés « maquis ministre », soient réservés aux classes les plus élevées. C’est le meilleur endroit pour faire son intégration à la grande ville lorsqu’on vient du village. C’est un lieu de solidarité. On y accepte facilement de faire crédit et les mendiants peuvent y être nourris. Mais cette convivialité cache aussi, comme souvent en Afrique, les tristes réalités du travail et de l’exploitation des enfants ou la prostitution. Les maquis génèrent une énorme économie informelle mais résorbent malgré tout une part non négligeable de la misère.
Bien que les autorités soient parfaitement conscientes du phénomène et qu’elles fassent mine de vouloir intervenir, elles savent pertinemment qu’elles n’ont pas d’autres alternatives face à l’anarchie des maquis. Mais cette anarchie est avant tout une auto-organisation de la population qui pallie l’incapacité et la corruption des élites qui, par ailleurs, y « bouffent » aussi allègrement. « En tous cas là, ça caille mal, mal, mal, alors une Brakina bien tapée et sap, sap…5 »
1 Poulet rôti à la broche dans la rôtissoire, qui, avec sa grande vitre fait penser à un écran de télé.
2 Poulet de race locale aux longues pattes qui court librement dans les rues et qui a donc des cuisses de cycliste.
3 Dans certains maquis on vous propose de venir choisir dans un enclos votre poulet vivant « sur pattes ». Il est ensuite tué, plumé et cuisiné dans la foulée.
4 Célèbres sodas américains.
5 « Bon là, il fait super chaud. Alors une Brakina (bière locale) bien glacée, et vite… »
Cet article a été publié dans
CQFD n°148 (novembre 2016)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°148 (novembre 2016)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Mis en ligne le 31.05.2019
Articles qui pourraient vous intéresser
Dans CQFD n°148 (novembre 2016)