Après la cagade électorale, on veut bien quelques Appels d’air [1]. En voici.
Le dossier copieux Pierre Clastres (Sens&Tonka), concocté par le sujet du livre lui-même, avec tout plein de textes rares ou inédits, et par quelques historiens dérangeants, Miguel Abensour, Marc Richir, Anne Kupiec…, souligne à quel point l’anti-ethnologue Clastres a foutu le souk dans l’anthropologie politique. Comment ? En démontrant avec force que « l’absence d’État dans les sociétés dites primitives ne provient pas de leur bas niveau de développement ou de leur incomplétude supposée mais d’une attitude active de refus de l’État en tant que pouvoir coercitif coupé de la société ». « Contre l’État » donc plus que « sans État ». D’où les rapports relevés dans l’ouvrage entre la pensée dynamiteuse de Clastres et celle d’autres têtes brûlées renommées pour qui « l’homme est un être-pour-la-liberté ». Ainsi de La Boétie et de sa guérilla contre la servitude volontaire et contre les nécessités factices auxquelles les zigues qui les ont créées se soumettent (la religion, le pouvoir hiérarchisé, les lois). Ainsi du géographe anar Élisée Reclus : « Je pourrais citer diverses peuplades, dites sauvages, qui même de nos jours vivent en parfaite harmonie sociale sans avoir besoin de chefs, ni de lois, ni d’enclos, ni de force publique. »
Dans l’esprit corrosif et guilleret de ses spectacles de théâtre rentrant dans le chou du pouvoir, de la censure, de l’argent, le saltimbanque provocateur italien Dario Fo vient de fricasser une sorte d’utopia dell’arte pour le moins décoiffante. L’Apocalypse différée (Fayard) décrit un Milan se réveillant un beau matin privé de toute énergie fossile : plus de pétrole, plus d’essence. Est-ce pour autant la cata ? Tout au contraire. Libérés du carcan de la consommation forcenée, les Milanais recourent aux énergies renouvelables et se mettent à prendre fantasquement leurs vies en mains. Dans l’euphorisant Amour et dérision (Fayard) qui se passe également à Milan mais en l’an 1300, le polémiste transalpin retrace la révolte farouche de l’hérétique Mainfreda et de ses sœurs d’armes contre l’assujettissement des femmes aux maris et aux prêtres.
Les amateurs d’eldorados oubliés ou imaginaires peuvent dorénavant dérader avec le Dictionnaire des lieux et pays mythiques des éditions Laffont chiadé par 172 chercheurs pour y explorer ludiquement la Terre du Milieu, la Bosphoralie, la Prairie des Asphodèles, l’Amazonie de la reine incongrue Perthésilée ou la Mégapatagonie où la musique est utilisée pour agrémenter la manière de dire les choses.