Cap sur l’utopie

Ni Dieu, ni maître, ni mari

Le bouquin « Dix petites anarchistes » raconte les aventures de dix impétueuses pétroleuses qui s’en vont bâtir au bout du monde une communauté idyllique où régnerait « l’anarchie à l’état pur ».

Sous leurs dehors débonnaires, la plupart des écrivains utopistes ne se révèlent pas seulement raseurs, rasants et rasoirs. Pas seulement, jambon à cornes ! Ils affichent extrêmement vite aussi leurs tendances despotiques. C’est que s’ils nous souhaitent plein de bonnes choses dans un monde joliment ré-échafaudé, c’est à leur manière tentaculaire à eux, selon leurs critères ratatineurs, en rêvant de nous faire macérer dans leurs conceptions pisse-vinaigre du bonheur.

Heureusement, il n’y a pas que des utopistes tyranniques et rapiats à la Thomas More ou à la Saint-Simon. Deux livres récents nous emmènent ailleurs.

Le premier, c’est Sexe, cosmos et utopie de Patrick Samzun (éd. Presses universitaires de Vincennes) sur lequel nous reviendrons à chaque occasion car il s’agit là d’un aérolithe dévergondeur d’exception. Mais ça ne sera pas pour cette fois-ci, faute de place, ventre de bœuf !

L’autre brûlot qui largue tout de bon les amarres, c’est le dernier roman du Genevois Daniel de Roulet, Dix petites anarchistes (éd. Buchet Chastel) décrivant ce qui arrive à la fin du XIXe siècle à dix jeunes pétroleuses1 impétueuses de Saint-Imier (en Suisse) qui, chauffées au rouge et noir après les visites dans le coin de Mikhaïl Bakounine et d’Errico Malatesta, décident de s’en aller bâtir au bout du monde, dans l’archipel Juan Fernández (océan Pacifique), une communauté idyllique où régnerait « l’anarchie à l’état pur  ». « On a refusé d’un commun accord de mettre en place la moindre ébauche d’organisation économique, ni hiérarchie, ni direction, ni spécialisation des tâches. On vit sans aucun pacte, sans aucune norme de travail, aucun code moral. Le premier ou la première éveillé(e) secoue les autres, l’appétit seul appelle au réfectoire, la passion au travail, le sommeil au repos. L’un de nous, un Italien de Carrare, est d’une paresse absolue. On rudoie un peu cet heureux parasite sans jamais le contraindre.  »

De même, on ne brocarde pas tant soit peu les derniers couples capsulés hétéros, chacun aimant comme il lui sied. Et tout en se shootant à l’alcool de pêche, on saborde toute forme d’autorité ou d’horaire fixe, on favorise le libre développement des moutards, on décide de tout et de rien ensemble en refusant la cérémonie du vote, on expérimente des plats et des jeux, on se façonne des chaussures, on améliore les mots de désordre : « Ni dieu, ni maître, ni mari  ». On lit critiquement le Contrat social et Louise Michel, on s’euphorise avec des champignons spéciaux, on chante : « Laissez dormir le glaive en son fourreau / Zinzin rantanplan / Vive les rouges, à bas les blancs ! » Et on envoie bouler les percepteurs.

Mais les pioupious rappliquent pour déloger les terroristes.

Noël Godin

1 Pétroleuses : insurgées qui durant la Commune de 1871 auraient fait cramer avec du pétrole les repaires emblématiques du pouvoir versaillais. Depuis, le mot désigne les révoltées particulièrement déchaînées.

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