Contre les textes contre l’amour

Misère affective en milieu militant

Dans Nucléaire solitude, Héma et Hétonque mettent en scène leur colère contre les textes contre l’amour qui circulent beaucoup dans les milieux militants. Une analyse qui repolitise par le sensible des relations dont la « déconstruction » engendre solitude et culpabilisation.

En colère contre les brochures « contre l’amour » ou pour l’amour « libre » qui circulent beaucoup dans les milieux autogérés en France, Héma et Hétonque ont décidé d’écrire en 2019 une conférence gesticulée à partir de leur vécu de militant·es à Bure (Meuse) et d’un constat : « Les brochures font comme si tout le monde avait un accès égal à l’amour et au sexe [alors que] nous, notre problème, c’était de trouver déjà un partenaire, et aussi qu’il n’arrête pas la relation au bout de trois jours. » Car en miroir des coucheries multiples et politisées des très libres « dominants sexuels » – souvent urbains, jeunes et sexy – se constitue l’image de « déchets affectifs dont on ne sait pas quoi faire » et qui culpabilisent d’avoir encore des attentes, de la jalousie ou des émotions, « après tout ce temps passé dans un milieu où l’on déconstruit jusqu’à l’idée même de relation ».

L’ouvrage dénonce ces « contre-normes » de brochures ayant libéré le sexe, et dont les arguments sont trop souvent utilisés pour esquiver toute responsabilité émotionnelle

Bien décidé·es à faire vivre ce sujet sur la misère affective en milieu militant, les auteur·es ont publié la transcription de leur conférence gesticulée dans Nucléaire solitude1, un livre auto-édité en 2023 et signé par Le Comité imbaisable. Drôle et théâtral autant qu’empathique et sérieux, il passe au crible des figures et situations somme toute familières et pose la question : « À qui profitent les brochures ? » Il y a le mec au monologue qui « n’a aucune envie d’écouter ce que vous, vous avez à dire, donc de vous rencontrer », ou celui qui mixe indifférence et séduction pour se sentir en position de pouvoir, se prouver quelque chose et exister aux yeux des autres. Il y a aussi la « pédéthèque », ce lieu où chacun peut venir vivre sa petite expérience homosexuelle sans autre considération ou responsabilité, alors qu’il « est possible que le pédé ait des… des… – merde, comment ça s’appelle, je l’ai sur le bout de la langue… ah voilà : des émotions, des envies, une histoire, des blessures ». En images et en chansons, l’ouvrage dénonce ces « contre-normes » de brochures ayant libéré le sexe, et dont les arguments sont trop souvent utilisés pour esquiver toute responsabilité émotionnelle sans se remettre en question.

Et le nucléaire dans tout ça ? Du déni de fragilité à la quête de puissance, les anecdotes illustrent le manque affectif comme « le symptôme d’un monde où les émotions sont vues comme des déchets radioactifs » qu’on décide d’enterrer. Et les auteur·es de conclure : « Le nucléaire et les dominantes sexuels ont la même morale : puisque techniquement je peux le faire, alors je le fais […]. Impossibilité de penser la fragilité de ce qui nous entoure. Impossibilité de penser que tout ce qui nous entoure nous garde en vie et pourrait nous rendre heureuses. »

Jonas Schnyder

1 Le livre est commandable en ligne, ou le texte disponible sur demande. Plus d’informations : comiteimbaisable.wordpress.com

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CQFD n°235 (novembre 2024)

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