Kokopelli, les graines de la discorde
Mère nature et père fouettard
Il y a des gens – ou des personnes morales, ça marche aussi – qui font tout pour confirmer la mauvaise image qu’ils ont pu susciter. C’est plus fort qu’eux. Ainsi de l’association Kokopelli, largement mise en cause par un bouquin collectif, documenté et percutant, Nous n’irons plus pointer chez Gaïa – Jours de travail à Kokopelli, paru en début d’année aux Éditions du Bout de la ville. Un livre qui taille un bien peu reluisant portrait de cette association prétendant œuvrer « pour la Libération de la semence et de l’humus et la protection de la biodiversité alimentaire » (elle diffuse depuis 1999 des semences de variétés libres de droits et édite un catalogue devenu référence). Au fil des pages se dégage cette triste réalité : la prétendue icône de la défense des semences face à l’agro-industrie se comporte comme une entreprise capitaliste classique. Au menu, exploitation des salariés et management productiviste, théorie du complot et tromperie humanitaire. Oui, bigre.
L’ouvrage a connu un certain retentissement – il a été lu, relayé et commenté. Et notamment dans les pages de CQFD : un entretien avec quelques-un.e.s des auteur.e.s du bouquin, titré « Kokopelli, c’est fini... », a été publié dans notre n° 155. Une fois mise en ligne, cette interview a aussi tourné sur le Net, suscitant des échanges (plus ou moins) vigoureux en commentaires. Puis à la fin du mois de juillet, Le Canard enchaîné en a remis une couche, avec un article intitulé « Graines de violence sociale ».
Réaction de l’association ? Elle n’a pas attaqué les auteurs du bouquin. Ni CQFD. Et encore moins Le Canard enchaîné. Non, Kokopelli a choisi de s’en prendre à Daniel Vivas, jardinier tarnais au RSA et formateur en permaculture. En mai dernier, celui-ci avait en effet publié sur son blog Le Jardin des possibles un billet revenant sur son expérience peu concluante de client de Kokopelli (graines potagères ne germant pas, graines de moutarde japonaise à la place de poivron...), texte émaillé de passages du bouquin. La plume était alerte, le ton rentre-dedans. L’auteur y fustigeait notamment « le management autoritaire et crapuleux des Guillet1 [...] qui cultivent [...] un citoyennisme mystico-anarcho-écologiste de façade et une véritable posture de petit chef tayloriste et stalinien ». Boum !
Ce billet avait d’abord suscité une réaction mesurée du directeur, qui avait demandé (et obtenu) la publication d’un droit de réponse. L’affaire aurait pu – aurait dû – en rester là. Sauf qu’en août, Daniel Vivas a reçu un recommandé exigeant le retrait du texte. Il s’est exécuté, s’en expliquant par écrit : il s’agit « de ne pas entamer une procédure judiciaire qui serait pour notre structure bien trop lourde à assumer. [Mais] nous ne remettons nullement en cause ce qui est écrit dans notre article ». Fin du feuilleton ? Non, les gages de bonne volonté n’ont pas suffi : Kokopelli a décidé de poursuivre le blogueur pour diffamation.
Le procès s’est tenu le 13 octobre au tribunal de grande instance de Paris. « Ça s’est plutôt bien passé, explique par téléphone Daniel Vivas. Deux des auteurs du livre étaient présents, qui sont revenus sur les conditions de travail au sein de l’association et ont témoigné de la mauvaise conservation des graines. De mon côté, j’ai dit ma surprise d’être poursuivi pour un petit billet d’humeur sur un blog très confidentiel ». Même étonnement chez l’éditeur, qui tient quand même un bout d’explication : « Cette plainte pourrait être comprise comme un avertissement [...] au monde des jardiniers professionnels, des producteurs de semences, des maraîchers et autres magasins bios [...] : aucune critique émanant de ce milieu ne sera tolérée. »2
Mais Kokopelli, qui réclame au permaculteur 10 000 € de dommages et intérêts, et 4 000 € de frais de justice, n’a pas encore gagné. L’affaire a été mise en délibéré : la sentence tombera ce 17 novembre. Dans tous les cas, Daniel Vivas n’entend pas se laisser impressionner : « Je ne suis pas disposé à la fermer. Et je note que pour une association habituée à se présenter comme David face au Goliath des multinationales, cette histoire la fiche mal... » Clairement. Elle constitue surtout une confirmation éclatante du propos du bouquin : il y a vraiment quelque chose de pourri au royaume de Kokopelli...
1 Ananda Guillet est le directeur de l’association.
2 Dans « Kokopelli voudrait-elle faire taire la cri- tique ? », communiqué du 9 octobre 2017.
Cet article a été publié dans
CQFD n°159 (novembre 2017)
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Paru dans CQFD n°159 (novembre 2017)
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Mis en ligne le 09.01.2018
Dans CQFD n°159 (novembre 2017)
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9 janvier 2018, 21:34, par Jérôme
Salut, Est-ce qu’il ne serait pas judicieux, du coup, que toutes celles, tous ceux, d’entre nous qui ont un site, un blog, dans ces domaines, relaient votre article. Les Kokopelliens seraient alors bien embêtés... A plus, jérôme