Au grand bazar de l’armement
Marchands de canons : une diplomatie vend-la-mort
Qu’il s’agisse de lutter contre le chômage ou contre le terrorisme, il faut produire, vendre et vendre encore des armes. Un tropisme que nos gouvernants ne se risqueront pas à questionner au regard des bienfaits de ce business de la mort : 60 000 créations d’emploi en trois ans (sur un total de 180 000) et un chiffre d’affaires de 18 milliards d’euros pour la seule année 2015. Au dernier salon du Bourget, Hollande1résident, reconverti en commercial au service de Dassault, s’est réjoui que ce salon de la guerre puisse servir de vitrine à « l’excellence française ». « Comme prévu, ils vont te faire un prix », a soufflé l’ordonnateur de l’état d’urgence à son homologue gabonais, Ali Bongo2. Ce n’est pas parce que les Bongo père et fils étranglent leur pays depuis 1967, qu’il faut bouder le commerce.
Côté Parlement, on se souvient de l’audition récente de Le Drian, ministre de la Défense, devant la commission de la Défense où divers députés ont félicité notre homme pour les ventes de Rafale à l’Égypte, sous prétexte – déjà – de lutte contre Daech3 Et tant pis si la main de fer du maréchal Al-Sissi n’en finit pas de s’abattre sur sa population. Pas en reste, notre Fabius national annonçait la couleur dès l’arrivée de Hollande à l’Élysée : « Le ministère des Affaires étrangères est traditionnellement celui de la paix et de la sécurité, il doit le demeurer ; mais il doit devenir aussi celui des entreprises. » Réussir à mettre « paix » et « entreprises » dans la même phrase était effectivement prometteur.
Ce couple gagnant-gagnant de la diplomatie-entreprise permet de nourrir l’humus toujours fertile de la Françafrique. Les rapports fleurissent où une France à jamais tutélaire de ces bons-nègres-des-colonies-du-temps-jadis assume plus que jamais sa place de mentor historique4. Franc CFA, présence militaire et francophonie : les piliers françafricains convoqués en première ligne pour encourager et appuyer les entreprises françaises à prendre les plus grosses parts du gâteau africain. Pendant la semaine des ambassadeurs, organisée cet été par le quai d’Orsay, une journée était consacrée à un speed-dating « un ambassadeur - une entreprise » illustrant à l’occasion le discours ambiant d’un réseau des ambassades pensé de plus en plus comme devant faciliter l’obtention de marchés par les entreprises françaises.
Au printemps dernier (2015), Hubert Védrine s’est vu offrir deux pages dans Libération. Quand on lui demande si une diplomatie de gauche existe, l’ex-ministre jospinien soupire : « Est-ce qu’il n’y aurait pas une diplomatie en soi plus à gauche ? […] Cela me paraît vain. » Il poursuit en détaillant sa vision d’une diplomatie ré-a-liste : « Les droits de l’homme sont un élément de notre diplomatie, pas un absolu, comme tout le reste sauf la sécurité. […] Mais je ne crois pas qu’une diplomatie des “valeurs”, par exemple, puisse être substituée d’une façon crédible à une diplomatie des “intérêts”. » Effectivement, on ne base pas une diplomatie sur des valeurs ou des idées. Les opposants tchadiens, camerounais, congolais, nigériens ou gabonais peuvent le confirmer. Védrine encore : « On ne peut pas mener une diplomatie, encore moins relever le commerce extérieur, par affinités idéologiques, en ne vendant qu’aux pays qui partagent nos valeurs.5 » Fabius réclamerait presque des droits d’auteur devant ce beau mélange de diplomatie et de commerce extérieur ! Le reste, ce sont des discours de naïfs et d’idéologues droit-de-l’hommistes. Le même Védrine assumait d’ailleurs récemment sans ambages que la France avait continué à livrer des armes au régime génocidaire rwandais : « Donc, c’est pas la peine de le découvrir, de le présenter comme étant une sorte de pratique abominable masquée. » Ancien secrétaire général de l’Élysée au moment du génocide des Tutsis au Rwanda, il faut dire que le personnage sait de quoi il parle en matière de vente d’armes et d’arrangements criminels.
D’un côté, une diplomatie de marchands de canons enterre les pseudo-valeurs humanistes de la France au nom d’une realpolitik sonnante et trébuchante, de l’autre nos élites les ressuscitent avec hargne après les attentats de janvier et de novembre. Attitude schizophrène qui n’empêche pas les Thales, Dassault et autre Airbus de sabler le champagne pour fêter une année record grâce à la succession de guerres françaises en cours. Entre deux allusions aux guerres de civilisations, Hollande a rendu hommage le 5 décembre, sur le porte-avions Charles-de-Gaulle, aux soldats mobilisés contre Daech. Il n’a pas perdu l’occasion de réaffirmer une nouvelle fois ses priorités : « Continuez de dire du bien des Rafale, ça permet de mieux les vendre ! » Clip publicitaire bien reçu par certains de nos clients qui, du Koweït à la Malaisie en passant par le Qatar et l’Arabie Saoudite, dégainaient déjà le chéquier.
Entendre Valls6 se féliciter des 10 milliards engrangés après des contrats conclus avec l’Arabie Saoudite ne fait pas seulement froid dans le dos, tant on sait le rôle de Ryad dans le financement du terrorisme. On mesure aussi le cynisme d’une parole officielle présentant ce deal funèbre comme une preuve de leur mobilisation « pour nos entreprises et l’emploi ». Quand la nouvelle d’un arsenal de Daech constitué en partie d’armes vendues par la France se diffusera, Hollande et sa bande continueront-ils à singer l’administration Bush et à voir dans cette diplomatie de la guerre un élément de paix ?
Par Julien Moisan.
Rapport Sipri : And the winner is…
Chez les marchands de canons, il n’existe pas de cérémonie annuelle avec remise de prix aux plus méritants, comme les Oscar ou les Grammy Awards. Leur spécialité n’est pas propice aux paillettes et au glamour, ils prospèrent dans la pénombre plutôt que sous les projecteurs. C’est un organisme indépendant, le Sipri (Institut international de recherche sur la paix de Stockholm) qui prend la peine de faire chaque année un classement des cent plus grandes firmes de vente d’armes et de services à caractère militaire. Le Top 100 des profiteurs de guerre est calculé en millions de dollars. Le classement pour 2014 vient de sortir, le montant des ventes est de 401 milliards de dollars, en légère baisse par rapport à 2013. Pas de surprise dans le peloton de tête : comme d’habitude, les firmes américaines dominent la compétition. Lockheed Martin avec 37,4 milliards de ventes remporte l’or, pour Boeing c’est l’argent avec 28,3 milliards et sur la dernière marche du podium le britannique BAE Systems avec 25,7 milliards. Dans le Top 10, on trouve sept firmes américaines et trois européennes, les autres étant la franco-allemande Airbus à la 7e place et l’italienne Finmeccanica à la 9e. Le premier pompon franco-français est Thales avec une honorable douzième position. La nationalité des entreprises en dit long sur les rapports de force internationaux : les Amerloques bâfrent à eux seuls 54,4 % du gâteau, les Européens 24,4 %, et à eux deux ils engloutissent les 4/5e de l’industrie de la mort au niveau mondial. Chapeau.
Mais cette domination s’effrite. L’industrie de l’armement russe est en plein renouveau : le nombre de ses entreprises dans le top 100 est passé de 9 en 2013 à 11 en un an et représente 10,2 % des ventes. Les pays émergents pointent le bout de leur nez. Les firmes du Brésil, de l’Inde, de la Corée du Sud et de la Turquie représentent 3,7 % des ventes du top 100. Moins que les 5,6 % de la France, toujours bien placée dans ce classement. Au prix d’un énième radotage, rappelons ce constat de comptable : les dividendes de la guerre rapportent plus que les grands discours sur les droits de l’homme.
Par Georges Broussaille.
1 Ancien Président de la République française, de sinistre mémoire. Comme les autres. (Note du webmaster.)
2 Idem en pire mais au Gabon et toujours en poste. (Note du webmaster.)
3 Tant et si bien qu’au changement de majorité il sera récompensé par l’obtention du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères où il pourra continuer son petit commerce de marchand de canons. (Note du webmaster.)
4 Voir notamment « Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France ».
5 « Un partenariat pour l’avenir... » op. cit.
6 Manuel Valls fut plusieurs fois ministre et même Premier ministre "socialiste" de sombre mémoire. Il a heureusement disparu depuis. (Note du webmaster.)
Cet article a été publié dans
CQFD n°139 (janvier 2016)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°139 (janvier 2016)
Dans la rubrique Le dossier
Par ,
Illustré par Kalem
Mis en ligne le 18.03.2018
Dans CQFD n°139 (janvier 2016)
Derniers articles de Georges Broussaille
Derniers articles de Julien Moisan