M-art-keting : Un faux moment du vrai

Cynicom est un collectif d’artistes qui détourne les codes de la com’, son impudence, sa fausse bonne conscience. Le pire, c’est qu’il devient difficile de faire la différence entre une réalité inondée de stratégies marketing et sa parodie ! Avec un cynisme non déguisé, nos escrocs en sont même venus à concocter une vraie fausse interview pour leur propre publicité.
Par Cynicom.

Vous vous présentez comme un collectif d’artistes, pourtant votre nom évoque une agence de com’… Qui êtes-vous et d’où venez-vous au juste ?

Bruno : On s’est rencontrés dans un cours d’arts plastiques, il y a 17 ans. Il y avait une bonne dynamique et, avec deux autres acolytes, nous avons créé le collectif « la Barbouille ». On a commencé par faire des expos et des performances, en gravitant surtout autour d’événements musicaux. On a ensuite monté un festival humanitaire et pluri-artistique qui a fonctionné pendant une dizaine d’années. Quand ça s’est essoufflé, on s’est regroupés à trois sous le nom de « La chèvre aux épices », pour faire quelques pochettes d’album et des affiches.

Alex : Avec Cynicom, on est revenus à quelque chose de plus créatif. C’est surtout un cadre avec une dynamique collective, dans lequel on fait aussi des projets personnels. Ça fait du bien de se retrouver dans la même pièce pour dessiner ce qui nous passe par la tête et faire des brainstormings à propos des idées de chacun.

Pourquoi adopter aujourd’hui ce profil et le slogan « La vie c’est sa com’ »1 ?

B : Cynicom est né en 2011, l’année des révoltes dans le monde arabe, de la crise de la dette dans la zone euro, de la mort de Ben Laden, de l’affaire DSK, de la tuerie de l’île d’Utoeya en Norvège, mais surtout de la catastrophe de Fukushima… Difficile de ne pas verser dans le cynisme dans ces moments-là.

A : On s’est dit que la meilleure façon d’affronter cette réalité était de l’exagérer pour en révéler l’absurdité. On a donc imaginé une agence de com’ prête à travailler sur les pires sujets et sans éthique aucune.

B : C’est finalement le nom qu’on a choisi pour présenter le projet « showroom #1 ». Une exposition montée comme un salon professionnel. On s’est présentés comme une agence de communication qui travaille avec des clients peu scrupuleux. Aujourd’hui, la communication est surreprésentée, elle se superpose au monde réel et il devient extrêmement difficile de discerner le vrai du faux. Le slogan « La vie c’est sa com » vient de ce constat un brin fataliste. On aime utiliser également le slogan « Communiquer sur tout mais surtout communiquer » qui illustre à merveille les dérives d’un monde où l’apparence, la séduction et bien sûr le fric priment sur tout le reste.

A : La communication dont on parle n’est pas ce moyen fondamental, cet outil indispensable au fonctionnement de la société et à la richesse de ses cultures. Non, on parle d’une communication qui s’impose à ses cibles pour en faire autant de proies. Une com’ dont la partie émergée est attaquée par les anti-pub, et dont les racines invisibles plongent dans les lobbies de Bruxelles, dans l’OMC ou le FMI. Celle-là est capable de manipuler, sans vergogne et sans scrupules, les principes les plus louables pour atteindre les objectifs les plus douteux.

Vous menez de nombreux projets hors de l’Hexagone…

A : Notre projet au Burkina Faso fait suite à une résidence que j’ai réalisée en Indonésie en 2010 et 2011. C’est là que j’ai commencé à mettre en place et questionner le principe de la collaboration avec des artisans. Pendant plusieurs mois à Bali, j’ai passé des journées entières sur mon scooter pour observer l’île, m’inspirer et surtout photographier la face cachée du tourisme, et ses dégâts en termes de pollution. Les rencontres se sont donc faites au hasard de mes errances. Au Burkina en revanche, la résidence était préparée en amont et la plupart des contacts déjà pris grâce à des amis. Ça nous a permis de rencontrer des artisans et créateurs avec lesquels le courant est très bien passé et d’être efficaces dans la réalisation de gros projets comme le LavoBlaster, qui a servi à la pochette du dernier album de Joke, ou encore le Toboggan plat du ministère de la Prévention des Comportements à Risque.

Par Cynicom.

En parlant de vos projets urbanistiques, le toboggan plat ou le banc antipigeons par exemple, ont-ils trouvé acheteurs ?

B : Pour le banc anti-pigeons, pendant nos installations on a eu des commentaires assez positifs des passants, seulement on a flippé de constater que c’était parfois pris au premier degré. Dans leurs yeux, ce n’était plus un banc anti-pigeons, absurde et comique, mais une obscure solution pour éviter les squats des camés, des SDF et des jeunes.

A : Autrement dit, si une mairie nous fait une proposition, faudra se méfier de leurs intentions. Quant au toboggan plat, il faisait six mètres de long donc c’était compliqué de le rapporter du Burkina. On a voulu l’offrir à l’Institut Français qui avait coproduit le projet, seulement c’était trop grand pour eux et ils avaient peur de ne pas réussir à préserver l’œuvre sur le long terme. On leur a donc proposé de le transformer en un toboggan normal, histoire que des gamins puissent au moins s’en servir. Seulement ça posait un autre problème, l’Institut devenait responsable en cas d’accident et il ne pouvait pas prendre ce risque… CQFD. Au final on l’a donné à une école qui se posait moins de questions.

Par Cynicom.

Ci-dessus : Toboggan SECURIT-ISO-2012 (Homologation MPCR)

Le ministère de la Prévention des Comportements à Risque, le concepteur, le fabricant et l’Institut Français ne sauraient être tenus responsables en cas d’utilisation non conforme de cette installation.

Réalisation : ateliers Face-O-Scéno, 2012.


1 De sa com’, forme verlan de comme ça. Note du webmaster à l’usage de sa mère.

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Paru dans CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014)
Dans la rubrique Supplément

Par Paul Leclair
Illustré par Cynicom

Mis en ligne le 25.09.2014