Les desserts de Goby

Lire au Fouquet’s

Où il est notamment question des derniers livres de Clémentine Autain et de Pinar Selek...

Ah ! Ça va pas être gai ce mois-ci pour vos petites manies de lecteurs engoncés dans les fauteuils moelleux du Fouquet’s. Les ronds de serviettes et couverts en argent sont partis dans les poches des gueux. Vous allez pouvoir chialer, tel un Yannick Jadot voyant un Gilet jaune armé d’un litre de bioéthanol foncer vers lui pour lui foutre le feu, avec le beau livre de Clémentine Autain.

La députée Insoumise, qui a eu le courage de parler de son viol et d’écrire à ce sujet, publie un récit personnel au ton très juste, sans fioriture ni emphase. Dans Dites-lui que je l’aime (éd. Grasset), référence au film de Claude Miller où jouait sa mère Dominique Laffin, elle évoque celle qui ne fut pas vraiment la meilleure des mamans. Au point qu’elle en soit venue à l’occulter : « Je t’avais rangée, je m’étais arrangée.  »

Quand le film Garçon, de Claude Sautet, passait à la télévision, Clémentine Autain zappait pour ne pas voir à l’écran son actrice de mère, alcoolique, dont la présence était rare et inquiétante. La môme rêvait de maisons bourgeoises comme de linge parfumé à la lavande, de petits déjeuners Ricoré, en bref d’une famille unie, de soleil et de sécurité. La vie de sa mère, c’était surtout la bière au petit déjeuner, les retards, les enjambées de balcons, les amants multiples. Une vie libre pour l’intéressée, mais pas vraiment adaptée à l’enfant qu’était Clémentine.

En 1985, sa mère meurt d’une crise cardiaque – « c’est peut-être mieux comme ça  ». Où peut être pas. Traumatisée par un viol, Clémentine change de sujet de mémoire et choisit l’histoire du MLF (Mouvement de libération des femmes), ce qui l’aiguillera vers des féministes radicales, les Pétroleuses. Elle qui voulait enterrer le souvenir de sa mère va retomber dessus, en héritage. Dominique Laffin, «  une femme triste mais libérée  ». Féministe, adorée par le cinéma d’alors.

Autre pays, autre langue, mais douleur aussi avec Pinar Selek qui dialogue, dans L’Insolente, avec Guillaume Gamblin, journaliste au magazine Silence. Pourtant, la vie de cette sociologue féministe a tout d’une aventure. Elle qui réussit ses études se cogne à la réalité en vivant avec les gosses de rues d’Istanbul dont elle partage la quotidien : « Ils sniffaient du “tiner”, du solvant de peinture. » Née dans un monde magique, c’est la rue qui va lui apprendre la vie. Elle réalise des enquêtes audacieuses dans les maisons closes en se cachant avec la complicité des prostituées. « Sœur révolutionnaire  », Pinar défie le pouvoir totalitaire qui dirige la Turquie d’alors. Le coup d’État militaire de 1980 enferme son père quatre ans. Elle-même connaîtra la prison pour s’être intéressée aux Kurdes, lesquels «  n’ont pas d’autres amis que les montagnes », selon le proverbe.

S’il y a un sujet à fuir en Turquie, c’est bien celui-là. Se préoccuper de la misère des Kurdes, de leurs conditions de vie, c’est faire attentat. Elle est donc accusée de terrorisme en lien avec le PKK. Une vulgaire manipulation policière qui la conduit en prison où elle sera torturée. Ce n’est pas pour autant qu’elle baissera le bras, ainsi que le montre ce très beau dialogue, publié chez Cambourakis.

Une attention particulière, enfin, pour cette belle revue annuelle nommée Gibraltar, publication méditerranéenne ouverte sur le monde, qui est venue faire un tour à Marseille après effondrement (lire en dernière page). Si le reportage sur la Syrie prend aux tripes, on se reposera en Roumanie aux Maramureș, sans auto ni portable. Gibraltar est le plus beau mook (magazine de 5 kilos avec des dessins dedans) que j’ai vu depuis Z, mais ça c’est des potes, alors…

Christophe Goby
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