Les anti-casseurs
L’instrumentalisation politico-médiatique des « casseurs » a une longue histoire. En 1986, Pasqua les avait identifiés comme s’agissant de « la génération Mit’rrrand » ; en 1990, tandis que l’ivraie des lycéens dépouillait le C&A de la gare Montparnasse, le bon grain scandait : « Lycéens, pas casseurs ! » ; en 2006, aux Invalides, ce sont les manifestants anti-CPE qui font les frais de bandes de racailleux extrêmement agressifs tandis que les anti-émeutes restent l’arme au pied, etc. Sous ce fourre-tout sémantique, les « casseurs » sont devenus le baromètre médiatique, redouté ou espéré, du pourrissement du mouvement social. Lors des dernières grèves, Mélenchon, le nouveau tribun du peuple, a cru bon de donner un avis catégorique sur le phénomène : « Ceux qui jettent des pierres , incendient, cassent des vitrines sont des sarkozystes militants, ils n’ont pas leur carte [...] mais la seule et unique personne à qui ils rendent service, c’est le (sic) président Sarkozy. » Puis d’insinuer que certains pourraient être des flics infiltrés, avant, plus tard, de concéder qu’il pourrait s’excuser s’il avait accusé à tort.
Avec la grotesque polémique concernant les supposées infiltrations et provocations de la police dans les manifestations, un nouveau terrain d’accord s’est révélé entre hiérarques policiers et responsables syndicaux sur un ton faussement scandalisé : « Est-il imaginable que la police de la République puisse faire des coups tordus ? » Faut-il tomber de la lune pour ignorer que ces pratiques font bien partie de la panoplie du maintien de l’ordre. Cela a été d’ailleurs entériné, après le vote de la loi Perben II, par l’article 706-81 du Code de procédure pénale qui précise : « L’infiltration consiste, pour un officier ou un agent de police judiciaire, [...] à surveiller des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs. » Les manifestants qui ont fait sortir des « guisedés » (policiers en civil donc « déguisés ») du cortège le 29 octobre à Paris ne se sont pas trompés de cible.
Pourtant, il est alors tentant de verser dans le syllogisme qui voudrait que puisque des flics joueraient les « casseurs », tout émeutier serait systématiquement un flic. Comme tous ne peuvent pas être des condés, qui sont vraiment ces énervés qui s’en prennent aux robocops suréquipés, vandalisent le magnifique mobilier urbain et fracassent quelques vitrines de commerçants ou de banque ? Selon notre enquête, nous avons affaire à un ensemble composite de « gremlins » qui subissent en première ligne l’apartheid social, auxquels s’ajoutent des individus plus politisés et quelques quidams amateurs de sports à haut risque profitant de l’occasion pour se défouler, un peu et pour une fois à plusieurs.
Pas besoin d’un master en sociologie, pour comprendre que ces débordements d’humeur répondent à une casse sociale d’une plus grande envergure et finalement font pâle figure à côté des moyens de coercition de l’État ou de l’économie. D’ailleurs Sarko, garant de l’ordre, a prévenu : « Ce ne sont pas les casseurs qui auront le dernier mot dans une démocratie, dans une République ». En effet, le chiffre des arrestations a encore battu les records et les condamnations continuent à pleuvoir dru. Dans 95 % des cas devant le tribunal de Nanterre, il s’agissait de collégiens ou de lycéens sans casier, de novices dans la contestation qui doivent faire face seuls à la machine répressive. Pour eux, aucun soutien des responsables syndicaux et des politiciens de la gauche de la gauche, car, selon la doxa démocratique, ces jeunes rebelles n’auraient aucune légitimité, à la différence d’ouvriers, viticulteurs ou pêcheurs désespérés à qui il arrive parfois de réagir avec les mêmes gestes. Mais dans notre monde parfait, la colère est une maladie, sinon un crime.
Et, dans ce cas, le dernier mot doit revenir à un célèbre psychanalyste allemand1 : « La question n’est pas de savoir pourquoi des gens jettent des pierres sur la police, mais plutôt de savoir pourquoi il y en a si peu. » Si tant est que les choses puissent changer de cette façon, mais c’est une autre question...
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Cet article a été publié dans
CQFD n° 83 (novembre 2010)
Tous les articles sont mis en ligne à la parution du n°84.
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Paru dans CQFD n° 83 (novembre 2010)
Dans la rubrique Faux amis
Par
Illustré par Foolz
Mis en ligne le 10.12.2010
Dans CQFD n° 83 (novembre 2010)
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La citation est de Wilhelm Reich, pour mon lance-pierre je met mon adresse où ?