Islande : une autre éruption est possible

La révolution de glaçon

Laminée par la crise financière de 2008, l’Islande a viré son gouvernement, refusé par référendum de passer à la caisse, et nationalisé ses banques. Le pays se doterait en sus d’une Assemblée constituante. La révolution, quoi ! Mais les insurgés voudraient bien garder leurs 4x4.
par Rémi

Le boom économique islandais reposait sur des tas de monnaie pourrie, comme dans beaucoup d’autres pays occidentaux. Il a permis à l’île d’arriver au deuxième rang des pays les plus développés après la Norvège, selon l’indice de développement humain (IDH) de 2006. Des hommes d’affaires islandais commencent, dans les années 2000, à prendre du galon dans le monde du business international, achetant et vendant des entreprises en Europe et aux États-Unis avec l’aide de leurs propres banques – ils en sont devenus propriétaires lors de privatisations en 2002. La mondialisation et les contrats commerciaux au sein de l’Europe leur profitent au point que les sommes brassées par ces banques « dépassaient l’économie générale de l’Islande », remarque Kjartan Jonsson, directeur d’une association multiculturelle de Reykjavik. En 2008, la banqueroute de trois grosses banques islandaises met sur la paille 340 000 épargnants britanniques et néerlandais, opportunément indemnisés par leurs gouvernements respectifs. Lesquels réclament alors à Reykjavik le remboursement de 3,9 milliards d’euros, avec 5 % d’intérêts… On y reviendra. Dans le même temps, la situation des Islandais eux-mêmes s’effondre avec l’augmentation générale des crédits et du coût de la vie.

Début 2009, des manifestants s’affrontent à la police – pour la première fois dans l’histoire du pays – et demandent la démission du gouvernement qui se soumet dès la fin du mois de janvier. Le nouveau gouvernement organise alors un référendum sur le paiement de la fameuse dette et, surprise, 93 % des électeurs affirment leur refus des conditions exigées par Londres et La Haye, conditions appuyées par le FMI.

De plus, le Premier ministre poursuit le projet, présenté lors de la campagne électorale, de définir une nouvelle constitution afin de se débarrasser de celle héritée de la colonisation danoise. Vingt-cinq citoyens seront chargés de rédiger un nouveau texte. Parmi les mille noms choisis au hasard, cinq cent vingt-deux d’entre eux acceptent de se présenter à l’élection devant désigner les membres de l’Assemblée constituante. Condition d’éligibilité : le candidat doit avoir plus de dix-huit ans et présenter vingt soutiens à sa candidature. Le 25 novembre, seuls 36 % des électeurs se rendent aux urnes et désignent vingt-cinq constituants en charge de rédiger un texte autour de ces trois suggestions majeures que sont la séparation de l’Église et de l’État, ainsi que celle des pouvoirs exécutif et législatif, et la nationalisation des ressources naturelles. Mais, patatras, début février 2011, la Cour suprême, composée de juges nommés par le gouvernement précédent, invalide l’élection des constituants. Et, pour couronner le tout, le 25 février, le Président de la république met son veto au ré-étalement de la dette négocié avec Londres et La Haye depuis le non du 25 novembre. Et impose un nouveau référendum qui devrait avoir lieu le 9 avril…

À voir cet enchaînement de situations inédites en Europe, certains s’enthousiasment pour une révolution tranquille, légale et quasi-académique. Sentiment sèchement calmé par le journaliste Pascal Riché qui affirme, sur le site de Rue89 : « La population de cette île reste attachée à l’économie de marché […] et si l’économie et la constitution sont bouleversées […] ce n’est pas pour abandonner le système existant ; c’est pour le régénérer. […] L’Islande ne vit pas une alternative réussie et harmonieuse au capitalisme, mais une suite de tâtonnements confus, douloureux et résignés… en restant dans les rails du FMI. » Quant à Kjartan Jönsson, par ailleurs candidat malheureux à la constituante, il parle amèrement d’une tentative des Islandais « de réparer leur situation avec cette même cupidité et ce même aveuglement qui les ont justement mis dans l’embarras. » Pourtant, une population qui descend dans la rue, dégage son gouvernement et rejette par référendum le paiement d’une dette bancaire témoigne déjà d’une notable insolence. Quand, en plus, elle s’engage dans le projet d’une Assemblée constituante, composée de citoyens anonymes parrainés par leurs voisins, amis ou connaissances, avec en vue la nationalisation des ressources nationales… Les autres États européens n’obéissent-ils pas sans rechigner aux caprices des banques et du FMI ? Et les populations n’abandonnent-elles pas les changements constitutionnels au seul droit régalien ?

Peut-être que les Islandais, aux aspirations réputées middle class et aux 4x4 rutilants, affirment des intérêts exclusivement singuliers. Mais l’expérience islandaise confirme au moins le fait que la démocratie directe ne peut s’appuyer sur des systèmes législatifs en place. En quelques mois, les vents auraient-ils poussé des poussières autres que volcaniques pour fertiliser des territoires, au loin, vers

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Paru dans CQFD n°87 (mars 2011)
Par Gilles Lucas
Illustré par Rémi

Mis en ligne le 05.05.2011