Projet d’aéroport du grand ouest
Les agités du bocage
En ce petit matin de février, un soleil froid se lève sur le bocage. Pas un bruit aux alentours, à part celui des oiseaux qui nichent dans les haies… « Il faudrait qu’on tourne dans les villages du coin en balançant le vrombissement d’un avion qui décolle, histoire de comprendre ce qui nous attend ! », plaisante l’un des squatteurs de la Zone d’aménagement différé, aussi appelés ZADistes1.
Difficile d’imaginer que, depuis le 1er janvier dernier, ce coin de nature préservée appartient à Vinci, le constructeur du futur aéroport2. Les forages et l’enquête publique ont débuté en catimini, entre octobre et décembre dernier : « Avec les membres des assos locales3, les ZADistes et d’autres habitants, nous nous pointons pour empêcher les forages ou pour interpeller les enquêteurs. À chaque fois, nous nous retrouvons face aux gendarmes mobiles et, dernièrement, des copains ont été interpellés. Ils doivent être jugés pour “vol de terre” [sic] : ils ont barboté une carotte de forage ! », raconte Justine4.
Sur la ZAD, la résistance s’organise : il y a près de seize lieux squattés, tous différents les uns des autres. Ici, un boulanger s’est installé en octobre dernier, et souhaite vendre une partie de son pain en AMAP ; plus loin, des anglophones ont construit leurs cabanes dans les arbres. La ZAD est devenue une véritable terre d’expérimentation, et des jardins potagers collectifs éclosent aux quatre coins du bocage.
Des liens avec d’autres collectifs, comme Reclaim the fields, se sont tissés depuis peu. « En décembre dernier, nous avons vadrouillé dans tout le pays pour faire connaître notre lutte. Nous organisons des assemblées générales régulièrement, et avons créé un site Internet et un journal, Lèse-Béton 5, explique Jérôme. Mais ce n’est pas toujours facile d’être en lien avec les paysans du coin, qui nous prennent parfois pour des hurluberlus, ou avec les associations locales, qui n’ont pas du tout la même culture militante que la nôtre, et nous voient comme des radicaux. »
De surcroît, le conseil général a semé la zizanie en rachetant des terres, bien au-delà du prix du marché, à des propriétaires qui ont voulu sauver leur peau… « Ces gars-là, c’est des vendus, il ne faut plus leur parler ! », s’énerve un paysan de la zone.
Paul, 77 ans, agriculteur et ancien militant des Paysans-Travailleurs5, tente de faire le lien entre les locaux et les ZADistes : « Il y avait pourtant une culture de lutte, ici. Dans les années 1970, nous allions soutenir les ouvriers en grève à Nantes. Nous avons aussi lutté pour le foncier, avec des occupations de terre… Mais avec l’arrivée de Mitterrand, en 1981, tout le monde s’est rangé derrière le Parti socialiste. »
Ironie de l’histoire : aujourd’hui, c’est le PS local, mené par le député-maire Jean-Marc Ayrault, qui s’acoquine avec Vinci et les promoteurs pour s’emparer du bocage. Car, au-delà d’un aéroport international Haute qualité environnementale, c’est un véritable projet d’urbanisation qui s’annonce, et les bétonnières sont prêtes à dégueuler hôtels, autoroutes et ligne de TGV. L’objectif ? Créer une mégalopole « Grand Ouest » allant de St-Nazaire à Rennes.
Depuis mi-février, les engins de forages creusent de plus belle, protégés par une armada de gendarmes mobiles. Les ZADistes, eux, ont lancé un jeûne itinérant. Et en mai, une journée d’action aura lieu sur la zone, histoire de mettre un peu de plomb dans l’aile de cette machine à bétonner nos vies…
1 La ZAD, Zone d’aménagement différé, représente 1 225 hectares de terres agricoles sur lesquelles est prévue la construction de l’aéroport – mais il est estimé que 3 000 hectares seraient nécessaires. Pour les opposants, la ZAD est devenue la Zone à défendre.
2 Depuis 40 ans, le conseil général, ayant un droit de préemption, a acheté 80 % des terres agricoles de la zone. Le 1er janvier, il a remis ces terres à la société Vinci.
3 Notamment l’ACIPA et l’ADECA, deux associations qui luttent contre le projet d’aéroport.
4 Les prénoms ont été modifiés. Le procès des voleurs de terre aura lieu le 28 mars à Rennes.
Cet article a été publié dans
CQFD n°87 (mars 2011)
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Paru dans CQFD n°87 (mars 2011)
Par
Illustré par Karine Bernardou
Mis en ligne le 13.05.2011
Dans CQFD n°87 (mars 2011)
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