Tri médiatique

La révolte oubliée des Burkinabés

Comme dans les pays arabes, le peuple se soulève dans le Burkina de Blaise Compaoré, aux manettes depuis 1987. Mais les médias français s’en désintéressent. Pas assez de sang ? Une correspondante de CQFD était sur zone…
par Lasserpe

Depuis le décès de Justin Zongo, un élève de troisième, dans les geôles du commissariat de Koudougou le 20 février dernier, le mécontentement bat son plein au Burkina Faso. Régulièrement organisées dans tout le pays, les manifestations sont réprimées dans le sang – on compte une dizaine de morts depuis le début des évènements. Si les protagonistes et certains journaux burkinabés établissent un parallèle avec les révoltes dans les pays arabes ou relèvent les analogies entre Justin Zongo et Mohamed Bouaziz (qui s’était donné la mort en Tunisie), les journaux français, pourtant si prompts à saluer la soif de démocratie des populations étrangères, semblent plutôt avares de mots en ce qui concerne ce pays.

Les similarités structurelles avec la Tunisie, l’Algérie ou l’Égypte existent pourtant : société très inégalitaire, fort taux de chômage, violences policières, impunité, népotisme de la classe dirigeante, droits de l’homme quotidiennement bafoués… Le Burkina Faso est classé au 177 e rang (sur 182) de l’IDH (l’indice de développement humain, établi par l’ONU), avec un taux d’alphabétisation des adultes de 29 %, une espérance de vie de 53 ans, 46,4 % de la population sous le seuil de pauvreté et une population extrêmement jeune (environ 65 % de moins de 25 ans). Comme dans les pays du Maghreb, tout a commencé avec les étudiants – écoles, collèges, lycées et universités confondus –, qui ont réagi au meurtre de l’un des leurs par les forces de l’ordre et au mensonge grossier du gouvernement invoquant une méningite comme cause du décès. Ce n’est pas la première fois qu’un étudiant disparaît dans des conditions obscures : en mai 1990, un militant de l’Association nationale des étudiants burkinabés (l’Aneb) est torturé à mort dans l’enceinte de la base des forces de sécurité présidentielle, le gouvernement affirme alors que le jeune homme a pris la fuite. Le 9 mai 1995, à Garango, la police tire sur les manifestants, faisant deux morts. Le 6 décembre 2000, Flavien Nebie, 12 ans, est tué par balle lors d’une manifestation étudiante. Sans oublier l’assassinat qui a le plus heurté les Burkinabés, celui de Norbert Zongo, directeur de l’hebdomadaire L’Indépendant, et de trois de ses collègues, le 13 décembre 1998, alors qu’ils enquêtaient sur la mort de David Ouedraogo, chauffeur de Francis Compaoré, frère du président.

Depuis l’assassinat de Thomas Sankara le 15 octobre 1987, qui marque le début du règne sans partage de Blaise Compaoré (le président en est à son quatrième mandat), le peuple burkinabé s’est élevé contre le régime à maintes reprises à travers des révoltes populaires et étudiantes, ou encore lors des grèves régulières des forces de l’ordre. En revanche, c’est la première fois que le pays connaît de telles éruptions de rage : des commissariats ont été incendiés (à Reo, Koupela, Poutenga, Gourci, Ouahigouya, Rori et Leo), ainsi que des domiciles de ministres (Odile Bonkoungou et Alain Yoda), des prisons ont été attaquées et les détenus libérés (à Yako, Ouagadougou et Koupela). Si, comme au Maghreb, les forces de l’ordre affirment parfois comprendre les motivations des manifestants et se rangent à leurs côtés, ce sont toujours les structures symboliques de la répression d’État qui sont visées : commissariats, mairies, bureaux des gouverneurs… De plus, depuis le 22 mars, suite à la condamnation de cinq d’entre eux dans une affaire de mœurs, les militaires sont en grève et manifestent à travers tout le pays, ce qui a conduit le gouvernement à établir un couvre-feu du 30 mars au 3 avril.

Les deux mouvements avec d’un côté les étudiants et de l’autre l’armée, ne semblent pas, pour l’heure, se concerter. Mais leur éventuelle synchronisation rendrait la situation plus qu’explosive. Pour la première fois depuis longtemps dans la société burkinabée, l’appel au respect des principes de justice et de vérité et les revendications liées aux droits sociaux et économiques se rejoignent. Répression sanglante des premières manifestations à Koudougou, volonté non dissimulée de Blaise Compaoré de changer la Constitution afin de devenir président à vie, échec des négociations achevées fin février avec la Coordination nationale des Collectifs contre le coût de la vie chère (CCVC) : tout semble converger pour asseoir durablement ce mouvement sans leader et structure formelle. Et ceci au grand dépit du gouvernement de Compaoré qui s’échine, comme toujours, à le désigner comme criminel et manipulé de l’extérieur.

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3 commentaires
  • 18 mai 2011, 09:26

    Article pauvrement documenté malheureusement. Les causes de ce qui est un peu plus qu’un mouvement de grève des militaires ? Le non-payement de primes liées à leur déplacement en Côte d’Ivoire pour les uns, la protestation contre la condamnation dans des affaires de mœurs pour les autres, en clair des abus sexuels à la DSK... On voit mal les étudiants converger avec ça et tant mieux. Il n’y a pas d’un côté le jeune Zongo assassiné par la police et de l’autre l’armée au Burkina. Là pour le coup, on n’est pas en Egypte. Rien sur la grève des magistrats intéressante pourtant même s’ils n’ont pas le profil sociologique de l’émeutier. Que la justice puisse maintenir une décision contre des militaires parce qu’elle la trouve juste, ce n’est pas rien dans un pays où précisément bon nombre d’affaires de justice on été endormies parce qu’elle concernait l’Etat. Rien non plus sur l’interdiction d’émettre de Sam’s K le Jah, homme de radio engagé... Bref, merci d’avoir fait un effort. Mais ça sent encore un peu le Faso vu de la rue Consolat votre papier.

  • 18 mai 2011, 12:20, par Anne

    si j’ai bien compris, il n’y a rien aucune richesse susceptible d’intérésser les pays qui auraient pu intervenir pour "soutenir la population" révoltée et réprimée...au Burkina Faso ; non, pas "pas assez de sang...plutôt pas assez d’intérêt, ni d’enjeux économiques, conclusion, elle sera laissée pour compte, livrée à elle même, et c’est à peine si on condamnera la répression si par malheur pour ce peuple, le sang venait à couler en abondance !!!

    • 18 mai 2011, 17:07

      D’abord les burkinabe ne se sont pas encore soulevés en masse contre Compaoré. Tous le monde sait au pays qu’il est un pion docile de la françafrique et des institutions internationales qui sont sensées l’aider à bâtir ce grotesque ghetto pour riches qu’est Ouaga 2000 par exemple, tout le monde sait que le système mafieux qui l’entoure pompe toute l’énergie économique du pays et que ses réélections successives n’ont de démocratiques que le nom et sont largement achetées à grand frais de sacs de riz et de tee shirt à son effigie distribuées parfois d’hélicoptères dans les campagnes. Mais il a encore le soutien des autorités coutumières et ce qu’on voit se passer à Ouaga est encore plutôt de l’ordre des tensions internes d’un pays comprimé que soulevé. Le chantage "Blaise ou la guerre" (sous-entendu comme en Côte d’Ivoire post-Houphouet) fonctionne encore... Bref, du calme. D’ailleurs, le jour J, on peut souhaiter aux burkinabe de n’avoir en aucune manière besoin des français pour mettre à bas la farce qui les gouverne. Ce n’est pas au pays des Hommes Intègres qu’on pourra refaire la blague de l’africain pas entré dans l’histoire et si Gbagbo gênait les projets français, Compaoré, lui, arrange encore tout le monde ...Même si l’époque n’est sans doute plus où pouvait sortir d’une nouvelle génération d’officiers un Thomas Sankara avec un projet de développement non-aligné sur le dictat de la dette, quoi qu’il en soit, la révolution sankariste a tout de même laissé un héritage, le goût du possible. Il n’est pas éteint et les changements en Côte d’Ivoire et en Libye (Kadhafi étant grand allié de Compaoré) ne seront sans doute pas sans effet. Mais on ne peut aller plus vite que la musique. Courage aux amis du Faso et comme on disait : "La patrie ou la mort, nous vaincrons".

  • 18 mai 2011, 14:18, par dozo

    Un article qui ne reflète pas vraiment la situation du pays ! L’auteur y a-t-il déjà mis les pieds ? J’en doute fort.....

    • 28 mai 2011, 22:06, par Christophe.

      L’auteure a passé quelques semaines là bas. Mais la pagination du journal ne laisse jamais assez de place à plus d’informations. Pour avoir passé quelques mois dans ce pays il y a quelques années, j’ai trouvé le papier très correct. Et fort en avance sur les médias habituels. Qui a parlé de cette révolte ? cordialement.

Paru dans CQFD n°88 (avril 2011)
Par Solveig Bjurström
Illustré par Lasserpe

Mis en ligne le 17.05.2011