Au bord de l’autoroute nord de Tunis, s’étalent les 4 000 mètres carrés du magasin Bricorama, à proximité du complexe commercial Tunis City, pillé et incendié dans les journées qui ont suivi le départ des Ben Ali-Trabelsi. Bricorama, lui, aura au moins échappé au brasier.
La grande surface du bricolage ouvre ses portes en 2008 sous la férule du neveu de l’ex-première dame, Imed Trabelsi, qui a obtenu la franchise auprès de la direction française. Enfin pas tout seul, initialement associé à un autre personnage du nom de Mahbouli, Imed a fini par éjecter son partenaire sous la menace.
Le jour précédant l’inauguration, Zine Ben Ali, Leïla Trabelsi et leur fils Mohamed visitent discrètement le magasin. Enfin presque discrètement. Service de sécurité présidentiel, blindés de la police, groupe d’intervention, snipers sur les toits... Le personnel doit se planquer dans les stocks et la famille régnante repart après quelques emplettes. Finalement cette farce n’aura été qu’une façon pour le neveu de se faire valoir auprès du couple présidentiel.
En trois ans d’activité commerciale, aucun bilan comptable n’est effectué. Les fournisseurs sont pourtant payés et les banques prêtent de l’argent. Il est vrai qu’un neveu Trabelsi ne pouvait qu’inciter à une confiance aveugle. Pourtant l’affaire est loin d’être florissante car, en Tunisie, on préfère faire faire que faire soi-même. Quelle affaire ! Les produits destinés à décorer compensent vaguement le peu de ventes d’outils et de matériaux.
Les deux jours suivant le 14 janvier voient les tunisiens de la région retrouver goût aux joies du bricolage. Ils viennent se servir pour ce qui s’avère une véritable opération de solde sauvage. Les rideaux de fer et les vitrines sont défoncés. Le samedi 15 au matin, lorsque le directeur de l’import, Français expatrié de longue date et véritable chef de la boutique, arrive sur les lieux du sinistre, il voit de loin le parking bourré à craquer et se dit tonnerre, il y a du monde ! Comprenant que ces nombreux clients sont en vérité venus récupérer une petite partie de ce que « les Bentra » leur ont volé, il fait demi-tour fissa fissa. L’armée n’intervient que le dimanche pour mettre un terme à cette opération de liquidation totale. Bricorama n’est pourtant pas mort et les employés qui décident de revenir, passent plusieurs semaines à faire l’inventaire pour ouvrir à nouveau les portes début mars. Mais depuis qu’Imed-le magicien-Trabelsi a été arrêté et tous les comptes de ses sociétés bloqués, les fournisseurs et les douanes veulent être payés et les banques ne prêtent plus.
La direction ne peut plus rien acheter et vend ce qu’il reste pour couvrir une petite partie des dépenses. Les salaires sont fournis par le seul compte qui ne soit pas clôturé sous condition qu’il ne serve qu’à ça. Plus de publicité, ni de promotion pour ne pas vendre trop vite et attendre. Si les employés tunisiens ne savent pas trop ce qu’ils vont devenir, l’avenir du directeur de l’import, agent de Bricorama France, est assuré. Salarié français, il touchera donc ses indemnités à son retour. Son rôle est de faire un rapport circonstancié à la direction française qui espérait promouvoir les intérêts de l’enseigne en Tunisie. Car le fameux neveu leur avait fait miroiter de potentielles ouvertures de magasins dans tout le pays ainsi qu’en Libye. Dans la famille Ben Ali-Trabelsi, Bricorama demande le neveu. Mauvaise pioche.