Entretien avec Christine Ribailly
La prison, une entreprise de destruction sociale
Tu as finalement tiré quatre ans - Comment tout ça a commencé ?
« J’ai découvert la prison en 2004. Je ne m’y étais pas vraiment intéressée avant, mais j’y ai été confrontée quand mon ami a été arrêté. J’ai alors enchaîné les parloirs, suivi son procès, correspondu par lettres avec lui... Et j’ai pris conscience du mépris total de l’administration pénitentiaire à l’égard des familles.
Lors de mon premier parloir, ça a été violent – tu te retrouves plongée dans un monde auquel tu ne connais rien. Je l’ai mal vécu, je n’arrivais pas à accepter le regard méprisant des matons. Ainsi que le manque d’explications : ils ordonnent, on doit obéir sans moufter. Et quand il y a des explications, elles varient au gré du vent. Par exemple, tu téléphones pour savoir ce que peut contenir le colis de Noël, et on te répond : ‘‘ L’alcool est interdit, la viande crue aussi. ’’ Très bien. Donc, tu envoies du scotch, des crayons de couleur, du papier. Et là, on t’explique que tout est interdit, sauf la nourriture. Fallait le dire...
Je ne supportais pas cette façon de jouer avec les nerfs des familles. Et très vite, mes relations avec les matons se sont tendues – beaucoup de mes parloirs se sont terminés en garde à vue (GAV). Ma première, c’était au lendemain du procès de mon compagnon. J’arrive au parloir, un petit muret nous séparait, je l’enjambe pour le prendre dans mes bras. Un maton intervient : ‘‘ Pas le droit de franchir le muret ! Mais vous avez double parloir, soit deux fois 45 minutes. On vous changera de salle pour le deuxième, il n’y aura pas de muret.’’ Le premier parloir se termine, je sors attendre le deuxième, mais une surveillante me bloque : ‘‘ Vous n’aurez qu’un seul parloir ! ’’ Cette injustice crasse me met en rage. Je gueule, ça frotte un peu avec les matons. Le directeur me convoque ‘‘ pour discuter ’’, je lui rétorque : ‘‘ C’est pas avec toi que je veux parler, mais avec mon compagnon ! ’’ Ça ne lui a pas plu, les surveillants sont intervenus, je me suis retrouvée menottée au sol. Ensuite, GAV et comparution immédiate.
À partir de là, j’étais connue comme le loup blanc. À chaque parloir, ils se débrouillaient pour me faire péter les plombs : un petit prétexte suffisait. De mon côté, j’y allais en mode bagarre, je ne voulais rien lâcher. Je me suis donc très souvent retrouvée en GAV. Et le fait de refuser la prise d’empreintes et le fichage ADN n’arrangeait rien... »
Jusqu’à ce que tu prennes du ferme ?
« J’ai d’abord été protégée par mon statut. Femme, blanche, plutôt cultivée et avec un travail – chef d’exploitation agricole. Je passais à travers les gouttes. On me refilait du sursis, puis du sursis avec mise à l’épreuve, puis des peines de prison ferme aménageables parce qu’inférieures à un an. Mais à force de pousser le bouchon, je me suis retrouvée derrière les barreaux.
Ma première peine ferme est tombée suite à une visite à mon compagnon. J’arrive, passage sous le portique. Il ne sonne pas, les matons me demandent quand même de retirer ma veste. Je proteste, on s’engueule, ils clament que je n’entrerai pas si je la garde. Je me suis alors déshabillée et j’ai passé le portique en slip. Ça ne leur a pas plu... Et j’ai pris deux mois ferme. Une peine théoriquement aménageable, sauf que je me suis embrouillée peu après avec des gendarmes. Ils m’ont placée en GAV pour un outrage imaginaire, avant une nouvelle comparution. Lors de celle-ci, j’ai énervé le juge en gardant les mains dans les poches. Cette fois, direction prison.
À partir de là, ils ont fait tomber mes sursis : ma peine de deux mois s’est vite allongée. Après trente jours de taule, j’en étais déjà à un an et demi... Et comme à l’intérieur, j’ai repris des condamnations pour outrage, rébellion et violence... Ça aurait pu continuer longtemps. Mais en décembre 2016, miracle : ma quatrième demande de libération conditionnelle a été acceptée. Sans que je sache pourquoi. À cause de Noël ? Ou parce que j’étais ingérable ? Ma demande n’avait en tout cas pas changé : pas question d’accepter un bracelet électronique. Je n’en veux pas. Et c’est inconciliable avec mon travail. »
Tu as aussi écopé de condamnations pécuniaires ?
« Je dois 9 500 € aux parties civiles – des matons qui ont porté plainte. Pour l’instant, je n’ai rien versé : je suis en arrêt maladie à cause d’un genou abîmé, suite à des coups reçus en prison. Je vais bientôt reprendre le travail, mais je suis payée au Smic. Et ils ne peuvent à peu près rien saisir, puisque j’habite dans une caravane et que mon exploitation agricole fonctionne en Gaec (Groupement agricole d’exploitation en commun). Bref, ils vont attendre longtemps leur argent... Je compte m’en acquitter petit à petit, à raison de 15 € par mois. Histoire de ne pas retourner derrière les barreaux. Mes parents ne le supporteraient, les copains non plus. Mes quatre ans de taule les ont épuisés. »
Tu insistes beaucoup sur ce qu’ont subi tes proches. De ton côté, tu aurais pu continuer longtemps ?
« Je n’aurais rien lâché. Ce qui ne signifie pas que je n’aurais pas pris cher – depuis ma libération, il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à la taule... Mais oui, je crois que c’était encore plus dur pour mes proches. Surtout pour mes parents, qui subissaient la situation sans pouvoir rien faire. De mon côté, ça me semblait facile. Les matons refusaient d’entendre ce que j’avais à dire ? Je donnais des coups de pied dans la porte jusqu’à ce qu’ils interviennent. Hop, deux jours de mitard, puis convocation chez le directeur. Et voilà, je faisais passer mon message. Sauf que pendant ce temps, mes proches ne savaient pas ce qui se passait et s’inquiétaient. Ils ont morflé financièrement, aussi. Parce que j’étais transférée sans cesse, à Strasbourg, Rennes, Lille, etc. Ça coûtait beaucoup d’argent de me rendre visite. Malgré ça, ils ont assuré : en quatre ans de taule, je n’ai pas passé un mois sans parloir. »
Cela t’a beaucoup aidée ?
« Oui, mais pas autant que le courrier. Parce qu’en fait, le parloir, c’est rude. Voire épuisant. Tu t’y prépares une semaine avant, tu sais qu’il faudra rassurer tes proches. Tu ne peux pas leur dire que tu en as marre, ça les inquiéterait trop. Alors, tu leur racontes que tout va bien, que tu as rencontré une fille sympa en promenade, etc. Eux font la même chose. Ils te disent que la grand-mère va bien, alors qu’en fait elle est en train de mourir... »
Tu t’es battue pour faire respecter tes droits en taule...
« Tout le temps, oui. Le syndrome classique du taulard : ‘‘Vous m’avez condamnée pour non-respect de la loi ? Vous avez intérêt à la respecter ! ’’ Sauf que c’est un combat sans fin, parce que les matons ne respectent jamais les règles. Et que je ne laissais rien passer. Parfois, ils me rentraient dedans, parfois non. Ils savaient que de toute façon, ils auraient le dernier mot – il suffisait de me pousser à bout. Je protestais. Ils me tombaient dessus. Je me débattais. Et vlan : nouvel outrage / rébellion / violences.
J’ai pris des coups, aussi. C’est sûr, ça ne fait pas du bien. Mais quand tu es dans le feu de l’action, tu ne te soucies pas de morfler. Ce qui est dur, ce sont les trente jours de mitard qui suivent. Les matons qui débarquent avec casques et boucliers pour t’amener à la douche, alors qu’elle est à quelques mètres. Ou encore le médecin qui se contente de vérifier de loin que tu tiens debout. »
Il y a eu les transferts, aussi. tu en as fait combien, au total ?
« Dix-sept. En moyenne, j’étais transférée tous les trois mois. L’idée, c’est de t’empêcher de nouer des liens avec d’autres prisonnières ou un surveillant. Mais je n’étais pas DPS1, ce qui scandalisait les matons. Via le syndicat FO, ils en ont même parlé à la presse. Quand je suis arrivée à la maison d’arrêt d’Épinal, le journal régional a ainsi titré en une sur ‘‘ La détenue qui rend folle la Pénitentiaire ’’. L’article mentionnait mes 80 procédures disciplinaires, ma supposée violence. Et expliquait que j’étais une folle dangereuse, qui faisait peur aux autres détenues. En une, bordel... »
Est-ce que tu ne t’es pas dit qu’il valait mieux courber la tête ?
« Jamais ! De toute façon, une fois que tu es cataloguée, c’est réglé : tu es coincée, même si ça se passe bien. Par exemple, j’ai passé cinq mois à la maison d’arrêt de Rennes sans aucun mitard pour violences. Ça n’a pas empêché FO de sortir un tract sur ma pomme. Le directeur a cédé, j’ai été à nouveau transférée. Au fond, je leur faisais peur. Ce n’est pas difficile, les matons sont plutôt lâches. Ce qui m’emmerdait surtout, c’est qu’ils arrivaient à faire croire à certaines filles que j’étais dangereuse. »
Justement, est-ce que tu as pu t’appuyer sur la solidarité des autres détenues ?
« Ça dépend de quoi on parle. Il existe une solidarité qui tient de l’amitié. Réelle, mais pas très efficace. Il s’agit par exemple de filles mieux intégrées, qui disent à une surveillante pas trop conne : ‘‘ Ça se passerait mieux avec Christine si vous lui parliez différemment... ’’ Avec cette réponse, en général : ‘‘ Je ne décide pas, faut voir avec le chef. ’’
J’ai quand même eu droit à de vraies preuves de solidarité. À la maison d’arrêt d’Orléans, les filles ont déclenché un beau bordel pendant que j’étais au mitard. Elles entendaient protester contre la façon dont j’étais traitée – à 19 h, je n’avais toujours aucun bouquin, ni ma gamelle... Elles se sont mises à taper dans les portes, à jeter des papiers enflammés, à matraquer les interphones. Ça leur a d’ailleurs valu des sanctions. Et à la maison d’arrêt de Vivonne (près de Poitiers), deux Basques ont bloqué la promenade en clamant ‘‘ Halte à la torture du mitard ! ’’ Six autres filles ont suivi le mouvement, elles ont écopé d’une semaine de confinement. »
Les Basques étaient parmi les seules à maintenir un esprit de lutte contre l’arbitraire carcéral ?
« Disons qu’elles ont une culture de classe et une vraie vision politique. Elles m’écrivaient quand j’étais au mitard, gueulaient aux fenêtres en soutien, me faisaient passer du chocolat. Mais elles ne comprenaient pas que je ne lâche rien. Elles me disaient : ‘‘ Arrête de chercher à faire chier les bleus. T’as rien à voir avec eux, rien à leur dire. ’’ Elles me sortaient que j’étais aussi conne qu’un mec avec sa bite devant... Mais ça n’aurait servi à rien de la mettre en sourdine. Parce que la parole des matons ne vaut rien. Dans certaines taules, le directeur se montrait d’abord conciliant : ‘‘ J’ai lu ton dossier. Ici, on va gérer autrement. Tu auras droit à des activités, mais tu ne touches pas aux matons. ’’ Sauf qu’au bout de trois semaines, la matonnerie FO protestait que j’étais traitée comme une princesse. Ou les surveillants se contentaient de me provoquer, en attendant que je parte en couilles. Boum, je prenais huit jours de mitard. Et encore trente peu après, parce qu’ils estimaient que huit, ce n’était pas assez... Au final, j’ai passé plus de la moitié de ma peine tout seule – 752 jours de mitard et 210 d’isolement.
Certains matons auraient sans douté été disposés à agir autrement. Pour avoir moins de boulot. Et parce que je n’étais pas la seule à subir la violence : certains matons se sont réellement blessés en me tombant dessus. L’un s’est pété le genou. Un autre, le poignet. À chaque fois, c’est parce qu’ils se montaient un moulon, qu’ils se précipitaient pour me frapper et qu’ils se blessaient mutuellement... »
C’était très dur, le mitard ?
« Ce n’est pas l’enfer, tu te fais juste chier. Tu as quand même de la lecture, un poste radio. Pour t’occuper, il y a aussi la branlette. Les souvenirs. Et l’écriture. Je recevais en moyenne cinq lettres par jour. Pour moi, c’était primordial. Ça montre à la Pénitentiaire que tu n’es pas seule, qu’il y a des gens derrière toi. Et surtout, ça fait rentrer la vie du dehors. Les potes te racontent leur quotidien, le boulot – ‘‘ On est monté en alpage ’’, ‘‘ On a rencontré un jeune qui s’éclate en transhumance, il travaille avec ton chien ’’, etc. Ça me faisait un bien fou. J’étais chanceuse : beaucoup de détenues ne reçoivent jamais de courrier. Elles n’ont plus de famille et pas d’amies, à part des amies de taule. La prison, c’est vraiment une entreprise de destruction sociale. »
Mais qui n’a pas entamé ta détermination...
« C’est un combat. Pas toujours facile, parce que tu sais qu’il n’améliorera pas tes conditions de vie. Alors je me disais qu’il profiterait aux autres. Je me suis ainsi retrouvée au mitard en février, à Joux-la-Ville (vers Auxerre). Il faisait 13°C – quand tu passes ta journée sans bouger, c’est rude... Je me suis bagarrée et j’ai obtenu la pose d’un radiateur dans la cellule. Je sais qu’il sera précieux pour les filles qui s’y retrouveront. Une petite victoire. »
Scène de prison :
Au cours de ses quatre années de détention, Christine a beaucoup écrit. De ses lettres publiées par le journal L’Envolée, Philippe a tiré une belle pièce de théâtre, Pisser dans l’herbe… Une autre façon de militer contre la souffrance carcérale.
Au centre de la petite scène, un homme seul. Autour de lui, au sol, des centaines d’enveloppes disposées en cercle. Il les arpente délicatement ou les foule sans ménagement. Il se courbe, se relève, s’énerve par instants, se calme à d’autres. Emporté par son texte, qu’il vit et fait vivre. Dans la salle, pas d’autre bruit que sa voix captivante : on entendrait une lettre voler…
Car, oui, c’est bien de lettres qu’il s’agit. Essentiellement celles que Christine a envoyées de taule (et qui ont été publiées par L’Envolée) : elles forment en partie la trame de Pisser dans l’herbe..., spectacle coécrit et joué par Philippe Giai-Miniet2. Le reste provient des missives du détenu longue peine Philippe Lalouel et d’une prisonnière, Émilie D., ainsi que d’extraits du livre Pourquoi faudrait-il punir ?3. Pour les dire, un seul personnage générique, Camille. Joliment campé par Philippe, donc.
Voilà pour la présentation. Mais Pisser dans l’herbe…, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre, entre la prisonnière et l’acteur. Lui découvre en 2015 ses lettres sur le Net. Il lui écrit en taule, elle répond. S’instaure un riche dialogue épistolaire. Tous deux s’apprivoisent. Le préalable à toute mise en scène. « Nos courriers n’ont à peu près pas été utilisés pour le spectacle, explique Philippe. Mais la rédaction de la pièce s’est faite en collaboration avec Christine : je lui ai envoyé plusieurs versions, jusqu’à ce qu’elle valide l’ensemble. »
Tout n’a pas été simple. Et il a fallu dépasser des préventions réciproques. « Au début, je ne comprenais pas ce qu’il voulait faire, reconnaît Christine. Je ne voyais pas l’intérêt de mettre en scène des textes déjà publiés. Et je ne souhaitais pas apparaître en porte-drapeau d’une lutte, d’autant que mes modes d’action ne sont pas les plus répandus. Bref, j’étais sceptique. » Jusqu’à cette deuxième représentation en décembre 2016 à Montreuil, à laquelle Christine assiste presque par miracle – elle a eu la surprise d’être libérée la veille. « J’ai découvert ce que ça fait de voir des textes portés par un acteur : ça apporte vraiment quelque chose. »
L’acteur a ainsi dû faire ses preuves. Pas facile de débarquer dans un milieu militant qui ne voit pas toujours le théâtre d’un bon œil. « Au début, les amis de Christine étaient un peu méfiants, détaille Philippe. Comment ça, un théâtreux parigot veut faire une pièce sur la prison ? Gaffe ! Je crois qu’ils avaient surtout peur d’une spectacularisation de la souffrance carcérale. J’ai dû prouver ma sincérité. Montrer que ce n’était pas vain. » Chose faite.
Il faut dire que Philippe a évolué, aussi. À force de creuser la question carcérale, il a adopté une position abolitionniste. Un patient cheminement : « Je me souviens très bien d’une lettre de Christine où elle répondait à ma question : ‘‘ Si on supprime les prisons, on met quoi à la place ? ’’ Elle m’avait écrit : ‘‘ Tu manques d’imagination... ’’ Je me suis rendu compte qu’elle avait raison. » Depuis, que ce soit sur scène ou dans ses activités militantes, Philippe n’en démord plus : à bas toutes les prisons ! Oh que oui.
Prochaines représentations : voir par ici !
Fabrice, écrou 15 964, isolement
Il est entré en prison pour une peine de huit ans, il en a désormais plus de trente à faire. Maintenu à l’isolement, loin de ses proches, Fabrice est littéralement emmuré vivant. Une torture sans fin.
« Fabrice, il morfle grave, résume son amie Christine. Il doit maintenant s’y reprendre à quatre fois pour lire mes lettres parce qu’il n’arrive plus à se concentrer. Ils sont en train de lui manger le cerveau... » Et de le tuer à petit feu. C’était d’ailleurs le titre de la conférence de presse organisée en juin par le canard anti-carcéral L’Envolée pour alerter sur le sort du détenu : « Ils sont en train de tuer Fabrice Boromée ». Il n’y a pas plusieurs façons de dire ce genre de chose.
« Comme plus de 500 prisonniers originaires des DOM-TOM, Fabrice purge une peine en métropole, loin de ses proches, détaille L’Envolée dans un communiqué. Il réclame son transfert en Guadeloupe depuis 2011. L’administration pénitentiaire fait la sourde oreille et le juge d’application des peines l’empêche même de se rendre à l’enterrement de son père en 2012. Il tente alors de se faire entendre en ‘‘ prenant en otage ’’ un maton de Condé-sur-Sarthe. » Sanction : huit ans supplémentaires.
Rebelote en 2015, quand Fabrice retient deux heures durant le sous-directeur de la centrale. Et vlan, encore du ferme ! « Entré en prison pour une peine de huit ans, il en a maintenant plus de trente à faire. […] Maintenu à l’isolement, sans cesse transféré, entravé dans tous ses déplacements en prison, il fait l’objet d’insultes racistes et de passages à tabac de la part des matons. » Très peu de parloirs, aucune activité. Le repas passé à travers la grille, sans contact. Un médecin qui se contente de lui demander si ça va depuis la coursive. Pas d’accès à la bibliothèque. Un tympan percé parce qu’un membre des Éris4 a lancé une grenade assourdissante dans la douche que Fabrice bloquait en protestation. Et l’isolement, encore et toujours, depuis plus de cinq ans.
Quand on n’a personne à qui parler, la moindre attention fait figure de miracle. « L’un des matons de la centrale précédente parlait créole. Quand le chef de détention n’était pas là, il lui arrivait de passer la tête à travers la grille pour demander à Fabrice ce qu’il cuisinait, raconte Christine. Et pour Fabrice, c’était un truc de fou – il suffisait d’un connard de maton lui disant bon appétit pour qu’il se sente un peu mieux... Il en vient à halluciner qu’on lui parle normalement. »
Pour cet éternel enfant battu, aujourd’hui âgé de 36 ans et libérable en 2038, c’est désormais une question de vie ou de mort. « Cette torture a pour but de le pousser à bout jusqu’à ce qu’advienne l’irréparable », constate L’Envolée. Seul espoir : la solidarité de l’extérieur. Les représentations de Pisser dans l’herbe... sont ainsi l’occasion de faire connaître la situation de Fabrice et de collecter un peu d’argent. Avec deux objectifs. Payer un billet à son frère, pour qu’il puisse lui rendre visite à Noël. Et bousculer l’institution. « Il apprécie que les gens lui écrivent, explique Christine. Mais il aimerait aussi qu’on envoie des lettres de protestation au ministère de la Justice. » Histoire que quelqu’un se penche enfin sur son dossier. Que le régime d’isolement prenne fin. Et que Fabrice soit transféré en Guadeloupe. À vos lettres !
Pour lui écrire :
Fabrice Boromée / écrou 15 964 isolement / maison centrale de Moulins Les Godets
03400 Moulins-Yzeure
1 Détenue particulièrement surveillée.
2 Et mis en scène par Marie Paule Guillet, du Théâtre du Sable.
3 Signé Catherine Baker, aux éditions Tahin Party, 2004.
4 Équipes régionales d’intervention et de sécurité.
Cet article a été publié dans
CQFD n°159 (novembre 2017)
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Illustré par Mortimer
Mis en ligne le 04.01.2018
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