« Là où nul n’obéit, personne ne commande »

Deux ans après la roborative bio Anselme Bellegarrigue, le premier des libertaires (éditions Libertaires), son auteur, Michel Perraudeau, frappe plus fort en sortant à l’Âge d’Homme, sous le titre Textes politiques, l’œuvre quasi complète du fracassant polémiste du XIXe siècle. Accusant les socialistes de vouloir « faire de la société une immense ruche », Bellegarrigue ne tomba dans aucun de leurs panneaux. Il fustigea la démocratie participative « s’engraissant sur le dos des électeurs ». Il fila une frottée au principe même de gouvernement (« Le pouvoir ne possède que ce qu’il prend au peuple »). Il vitupéra contre «  le dogme de la résignation, de l’abnégation, de la renonciation à soi-même » et contre le grégarisme. Il se fit le chantre avec la virulence d’un Stirner de l’individualisme libertaire. Il jeta les bases d’une société harmonieuse sans État dans son journal L’Anarchie. « Journal de l’ordre » (1859) dont il était l’unique rédacteur. Et, en attendant le grand chambard, il exhorta à l’abstentionnisme et à la désobéissance passive systématique. C’est probablement lui, en effet, qui exposa anonymement dans le quotidien toulousain La Civilisation la «  théorie du calme plat » consistant à ne plus même prendre connaissance des lois en vigueur et à répondre par la léthargie à tout arrêté municipal ou à toute autre directive officielle jusqu’à ce que l’appareil social tout entier soit cocassement paralysé par cette symphonie de fins de non-recevoir.

On continue à planer chouagamment avec La Communauté politique des « tous uns » (Les Belles Lettres), un entretien-fleuve du journaliste plutôt freudo-marxiste Michel Enaudeau avec le meilleur décortiqueur des écrits de La Boétie, le professeur Miguel Abensour. Lequel oppose dans le champ politique d’après 1989 deux formes de totalités  : le Tous Un, soit l’État, et le tous un (le Contr’Un selon La Boétie), soit une « démocratie insurgeante » tendant vers « une société autre ». Et après avoir évoqué quelques « fortes effervescences utopiques » nous ayant entraîné dans une « politique de l’émancipation » comme la révolution de juin 1848, la Commune de Paris de 1871, les journées de mai 1937 à Barcelone ou Mai 68, Abensour conclut son appel à la « non-domination » par ces mots engageants  : « N’oublions pas la sommation utopique que nous adresse le temps présent. » Peut-être libèrera-t-elle les hommes de la peur et les lancera-t-elle dans la recherche d’une société « conjuguant le désir de liberté et le désir d’utopie ».

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