Une rentrée technologique

La fin du tableau noir ?

On sait les suppressions de postes (16 000 en cette rentrée 2011), l’assouplissement de la carte scolaire, les cadeaux à l’enseignement privé… On sait moins le développement du cartable électronique, très tendance dans les ministères comme dans les salles de classe.
par Bertoyas

En 1999, Francis Gillery sortait sur le petit écran Le cartable de Big Brother. Dans son docu, l’auteur démontait les vues libérales de la Commission européenne qui fait la promotion à tout va du numérique dans l’enseignement. Tirant le fil de son écheveau, l’auteur mettait à jour les souffleurs de texte de ladite commission : l’European Round Table, un groupe de pression d’une quarantaine de firmes transnationales œuvrant pour que l’enseignement s’ouvre aux lois du marché.

Dans toute bataille, il y a un cheval de Troie. Les industriels ont le leur : le cartable électronique. « Ce cartable peut aller de la simple clé USB à l’ordinateur portable. Il est ensuite relié à un Espace numérique de travail (ENT) qui est un centre de ressources auquel l’élève mais aussi les parents, les professeurs et l’administration scolaire pourront se connecter. Actuellement en France c’est la société Archos qui est leader sur le marché avec son Classmate pour les 4-12 ans », explique Cédric Biagini, membre du collectif Livres de papier1 . Une innovation qui a tout pour plaire : qui n’a jamais ressenti un pincement au cœur en voyant ces mômes ployer l’échine sous le poids de leurs bouquins ? Qui ne s’est jamais offusqué de la fracture numérique qui promet les écoles rurales à la relégation informatique ? Sûrement pas notre ex-ministre de l’Éducation, Xavier Darcos, qui débloquait, en 2009, 67 millions d’euros afin d’équiper 6 700 écoles de nos campagnes en « ressources numériques reconnues de qualité pédagogique ». Pour inciter les établissements à s’adonner à cette ivresse technologique, le discours est bien huilé, dénonçant d’un côté l’archaïsme du tableau noir et vantant de l’autre un développement stimulant des technologies de l’information et de la communication (TIC).

Des TIC qui font tiquer, et pas qu’un peu. « Le point de vue patronal est très simple : face à la mondialisation, l’école est trop rigide, inadaptée, décrypte Cédric. De la même manière qu’on a flexibilisé le salarié, il faut flexibiliser l’élève, lui apprendre à se former tout au long de sa vie, abolir la frontière entre les moments pédagogiques et de consommation. Par ailleurs, tout le monde fait le lien entre le développement des machines et la suppression de postes peu qualifiés comme les caissières, mais l’on voit venir l’extension du phénomène aux postes qualifiés avec, par exemple, un professeur réduit à un rôle de gestionnaire de machine électronique. Sachant que l’idée finale du cartable électronique est de faire disparaître l’école en tant que lieu physique. » Sombre prophétie confirmée par l’augmentation croissante des enseignements et formations à distance et du e-learning. Aux États-Unis, nombreux sont les professeurs d’université devenus administrateurs de forums Internet, leurs élèves suivant leurs cours de chez eux. En septembre 2009, en pleine psychose sur la grippe aviaire, le lycée d’Arsonval à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) a dû fermer une classe. Le rectorat de Créteil a innové en mettant les cours en ligne et en permettant aux élèves de s’y connecter via leur cartable électronique. L’expérience a duré une semaine et a été saluée au nom du principe de continuité pédagogique.

Du 23 au 25 novembre 2011 aura lieu à Paris le troisième Salon professionnel de l’éducation Educatec – Edicatice. Conférences, expositions, ateliers… Ce petit raout auquel sont conviés institutions publiques, collectivités territoriales et kiosquiers de la presse numérique et pédagogique a pour but de promouvoir le développement du numérique au sein des établissements scolaires. Point d’orgue de la manifestation, la remise des Trophées des technologies éducatives valorisant « les initiatives de collectivités qui ont su mettre en place de véritables politiques publiques en matière de numérique ». Voilà pour l’émulsion et la saine concurrence. Guest star de l’édition 2010, Luc Chatel, ministre de l’Éducation, avait prévenu : « L’avenir de l’école ne s’écrira pas à la craie ». À la tête de l’évènement cette année, on retrouve Laura Garcia Vitoria, tête pensante du réseau Arenotech2, ONG internationale vantant les atours irrésistibles de la « ville numérique ». « Sur cette question, les gens sentent bien qu’il y a quelque chose qui cloche, mais on n’a pas encore construit les outils théoriques pour une critique efficace », conclut Cédric. Faudrait pourtant pas tarder : le flicage par GPS des élèves séchant les cours est en phase d’expérimentation en Californie3.


1 Créé en 2009, le collectif Livres de papier rassemble lecteurs et professionnels travaillant dans le milieu du livre réfractaire à l’ordre numérique.

2 Arenotech : Association européenne Art-Éducation -Nouvelles technologies. Pour un aperçu du monde à la Aldous Huxley vu par Garcia Vitoria, lire sa tribune parue dans le supplément du Monde du 11 janvier 2010.

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2 commentaires
  • 1er octobre 2011, 12:10, par Patafix

    Votre article est très intéressant ! Je le rejoins principalement sur le fait qu’une trop forte imprégnation des écrans dans le monde de l’éducation est à la fois dangereux pour l’école en tant que lieu de rencontre et d’échanges, de regroupement d’élèves, et aussi pour la santé des élèves... Car oui, l’utilisation de l’ordinateur trop jeune peut avoir une incidence sur la santé. J’en ai fait les frais puisque j’ai pu commencer à utiliser un ordinateur à l’école à 8 ans, dans un but « pédagogique » : il s’agissait de lire une liste de mots affichés un à un pendant une fraction de seconde chacun, et de le sélectionner dans la liste finale. Cela faisait assez mal aux yeux puisqu’il fallait être très attentif sans quitter l’écran une seconde au risque de perdre les mots. Et comme par hasard, vers le milieu de l’année, je suis devenue myope...

    Je suis en fac de lettres, dans une licence dont le point de vue peut-être intéressant pour cette article : ma licence, issue des lettres classiques, s’attache à faire le lien entre l’antiquité et le monde d’aujourd’hui. Ou comment passer de la tablette en terre et des grands penseurs à la tablette tactile et la preuve que ces penseurs s’appliquent de tout temps. Pour fédérer le petit nombre des étudiants de la licence (nous sommes autour de 50) et lui donner plus de visibilité, nous avons créé un site internet. A peu près un tiers des étudiants de cette licence prennent les cours en note sur leur ordinateur portable, dont je fais partie. Notre fac a d’ailleurs ouvert à cette rentrée un ENT, et mis à disposition depuis longtemps un « Moodle », un espace de stockage pour que les professeurs laissent leurs cours et les corrigés accessibles aux étudiants.

    Je constate plusieurs choses suite à ces mesures : 1/ Autant les professeurs sont assez conciliants avec l’usage de l’ordinateur pour la prise de note, autant cet usage est néfaste pour l’enseignement, car le réseau est accessible aux salles de cours et dès un moment de baisse de concentration, l’étudiant a plus d’occasions à sa portée de lâcher prise par rapport au déroulement du cours. C’est une question de discipline de l’étudiant, mais cette discipline est trop souvent loin d’être acquise. Dommage pour la « pédagogie » numérique. 2/ Quand un prof mets ses cours en ligne, fatalement, les étudiants ne font pas le déplacement, ou très peu (ceux qui ont compris qu’il y avait une note d’assiduité et que le cours est plus complet expliqué par le prof viennent). Et même si le prof explique bien que les cours qu’il met en ligne ne sont que des résumés, et qu’il donne des explications bien plus complètes et claires en cours, fatalement, il perd des étudiants. 3/ Cas plus rare mais assez surprenant que j’ai pu constater : les étudiants qui cherchent les réponses sur internet et des compléments d’information pendant le cours... pour épater le prof ! Le problème est qu’il y a différence entre connaissance et information, et qu’une fois leur info balancée, qu’en reste-t-il à part un prof hébété et berné ?

    C’est pour ces raisons que je refuse de mettre en ligne sur le site de mes étudiants mes prises de note et que n’y apparaissent dans l’espace documents que les cours que les profs ont envoyé par mail aux étudiants. J’espère que la course au tout numérique trouvera son équilibre sans devenir l’extrême que pointe du doigt votre article.

  • 4 octobre 2011, 17:17

    C’est un peu à rapprocher du télétravail : Si c’est limité et permet de rester chez soi occasionnellement (genre 3 ou 4 jours par mois) alors que sa présence ne s’impose pas, cela peut même être bénéfique : Ca permet de caser ce RDV chez le toubib qui sinon aurait obligé à poser sa journée, pas forcement à un moment ou le boulot urgent manque... ou si la neige tombe en IDF. Mutuellement avantageux.

    Par contre, quand l’entreprise développe ceci pour 2j/semaine a l’occasion d’un regroupement de sites a destination des employés qui vont se retrouver à devoir faire plus de 2x30km du fait de ce changement imposé de lieu de travail (que, malgré le durcissement des règles, on ne pourrait pas imposer à un chomeur)... les coupant de leurs collègues à 40% du temps... on ne peut pas dire que ce soit enviable !

    Je dis ca car, à force de fermer hopitaux/maternités et services publics de campagne... on voit bien la suite pour l’école : Les élèves contraints à rester chez eux derrière un écran, ce qui serait véritablement catastrophique.

    • 24 octobre 2011, 12:49, par régis

      L’article conclue bien qu’il ira nécessairement du numérique du flicage des enfants à l’Ecole. Ce seul argument suffit définitivement à récuser l’intrusion du numérique à l’Ecole. L’ignorer c’est être naïf et c’est faire peu de cas de l’avenir de l’espèce humaine. @ Patafix : A gauche on entend quantité de gens favorables à l’identification de la jeunesse immigrée au sportifs de haut niveau. On veut préserver le « rêve américain » d’ascension sociale et en implantant des terrains de jeu dans les Cités préserver la paix totalitaire. Il faut avoir la paix. Car enfin les enfants qui sont issus de ces familles de gauche piensantes vont plus rarement sur les terrains de jeu, ils investissent plus volontiers la lecture et l’informatique, favorisés en cela par des parents eux-mêmes versés dans les livres et l’informatique, en disposant de ressources plus confortables que les familles d’immigrés. C’est un moyen pour cette gauche s’assurer plus facilement à ses enfants l’accès à des postes pour lesquels il y aura de plus en plus de concurrence puisque la machine remplace l’homme. Vous ne pouvez pas, étudiant, manquer de cette conscience politique élémentaire. Car pour le reste vos arguments en faveur ou en défaveur de l’informatique dans l’enseignement sont à mon sens secondaires. La technique ravage nos sociétés en terme d’emploi, en terme de conditionnement, de liberté, de surveillance, de culture profonde et de formation de l’esprit logique que les livres seuls favorisent. S’il suffisait d’un seul exemple on dirait également qu’internet est une source perpétuelle de falsification et de réécriture de l’histoire, à l’image de Wikipedia : de mois en mois des informations disparaissent, sont changées etc.... Bravo pour ton article Sébastien. On y sent bien, entre les lignes, que tu es conscient des questions que je pose.

      régis

    • 14 novembre 2014, 16:58

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Paru dans CQFD n°92 (septembre 2011)
Par Sébastien Navarro
Illustré par Bertoyas

Mis en ligne le 01.10.2011