La famille napolitaine

CQFD a un petit cousin à Naples, un mensuel nommé Napoli Monitor. Ce canard examine la ville et la culture, et prône l’indépendance et l’autonomie comme expérience. La rencontre s’imposait…

L‘escalier qui rejoint la via Bartolomeo Carracolio à la via Fontanelle descend en pente douce entre les immeubles et maisonnettes abusives. Luca attend en bas des marches. Quelques mètres dans cette vallée au cœur de la ville, et la rue devient volcan. Sirènes de flics et d’ambulances, foule sur les trottoirs étroits, bousculades motorisées, bavards immobiles obstruant le passage, observateurs statiques perdus dans leurs pensées, boutiques débordant sur la rue… « J’habite ici. C’est le quartier de La Sanità », dit Luca, un des initiateurs du mensuel indépendant Napoli Monitor. Entre les 14 et 19 mars, l’équipe de ce journal napolitain a organisé une série de rencontres, expositions et projections sur la ville autour des thèmes « écouter, observer et se souvenir ». Et pour l’occasion a choisi d’inviter CQFD, afin d’échanger et de partager nos expériences respectives, et aussi, évidemment, bières et l’éprouvante pizza fritta…

« En 2006, nous avons publié deux numéros zéro avant de nous lancer véritablement en 2007 », explique Luca, en feuilletant ce canard de seize pages, imprimé en bichromie et publiant quantité d’illustrations. Viola, une des participantes de la rédaction, raconte : « Nous sommes environ dix personnes. Aucun d’entre nous ne se reconnaît dans les groupes politiques existants. Chacun, selon ses compétences, a un rôle essentiel. Nous sommes tous très différents. Il y a des personnes qui ont une expérience journalistique et d’autres plus tournées vers la littérature. Certaines participent à des associations actives sur le terrain politique et social. D’autres sont des étudiants curieux et ouverts. Mais notre intention est de pouvoir être capables de tout faire, depuis la rédaction à la maquette en passant par la gestion du site qui depuis septembre n’est plus seulement destiné à mettre en ligne les anciens numéros. » « La réunion de rédaction que l’on fait une fois par mois est assez informelle. On se parle, on se croise tous les jours… », continue Luca. Chaque mois, le journal – qui compte cent cinquante abonnés – est imprimé à 1 000 exemplaires et est distribué dans une trentaine de lieux à Naples et sa province, mais aussi dans quelques librairies à Rome, Florence, Bologne et Milan. « Ce qui fait notre point véritablement commun, c’est le Monitor », reprend Viola. Luca : « C’est un moyen et une occasion de changer un modèle de penser, pour nous et pour nos lecteurs. Pour moi, c’est un instrument politique destiné à la transformation des rapports sociaux. On y parle de la ville, des immigrés, de l’urbanisme, de la rue, d’expériences culturelles… Même si je ne suis pas très optimiste sur ce qu’on peut apporter… C’est vrai que parfois j’ai le sentiment que pour les lecteurs, ce journal est un luxe qu’ils achètent comme des collectionneurs, parce qu’ils le trouvent beau… » Il continue : « On n’a pas de visées explicites. Je pense que la militance politique part du local et que, pour nous qui vivons à Naples, parler d’ici et depuis ici est essentiel. » Viola : « On veut donner une image plus réelle de Naples, ce mouton noir présenté partout. Pour nous, Naples est bien sûr le centre du monde. C’est notre référence. Mais on ne fait pas que le dire, on veut casser les images, parler de la vie et des humains, en se battant contre les caricatures qui sont données de cette ville. » « Si la criminalité organisée et la Camorra sont des questions importantes, pas question pour nous de participer au cirque dont se régalent les médias », dit Luca qui s’occupe aussi de gamins dans les quartiers. Il rappelle toutes ces fois où des journalistes lui ont demandé de leur faire rencontrer des baby killers, jeunes proches de la Camorra, pour faire un article pittoresque et vendeur sur la ville…

Sur l’immense place du Plébiscite, une voiture de carabiniers s’avance au milieu des piétons dispersés. Un imposant chien noir, paisiblement allongé sur le pavé, se dresse, aboie vigoureusement et se rue à l’avant du véhicule bleu qui ne peut plus avancer au risque de le bousculer. Les passants s’amusent de la situation. Andrea, autre participant du Napoli Monitor, désigne le cerbère courroucé : « Nous aussi, on a un chien énervé à Naples. »

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Paru dans CQFD n°88 (avril 2011)
Dans la rubrique Médias

Par Gilles Lucas
Mis en ligne le 25.05.2011