Accident ferroviaire de Millas

La douleur et la méfiance

Quinze jours après les faits, la collision entre un TER et un bus de ramassage scolaire à Millas (Pyrénées-Orientales) joue toujours les premiers rôles dans les occurrences de l’info en ligne. Et pas seulement pour alimenter curiosité morbide et sentiment de culpabilité à l’heure du foie gras et des papillotes… Deux semaines après l’accident au cours duquel six enfants ont trouvé la mort, c’est l’avocate de trois familles endeuillées qui annonce à la presse que le train avait neuf minutes de retard. On fait mieux en terme de transparence. Et si cette révélation vient apporter de l’eau au moulin des suspicieux, la bavarde utilise finalement l’info pour charger la conductrice du bus. Ce retard pourrait expliquer, selon elle, la défaillance humaine : « On sait que dans les trajets travail, il y a énormément d’accidents. Parce que l’habitude entraîne un manque de vigilance du conducteur. » Là, on se demande si la dame représente les familles ou l’entreprise publique. Quelques jours auparavant, elle avait également pointé, au conditionnel, des traces de somnifère dans les analyses toxicologiques comme possible cause de l’accident – traces que le procureur jugera par la suite trop faibles pour être retenues.

On apprend également à cette occasion que, selon l’audit interne de la SNCF, « le système fonctionnait parfaitement ». Le procureur de Marseille en charge du dossier avait, lui, déclaré que « les premières constations matérielles vont plutôt dans le sens d’une barrière fermée ». Pourquoi autant de fébrilité ? L’état de ces barrières n’est sûrement pas le même si elles ont été brisées par un passage en force ou endommagées par les effets collatéraux d’une collision sur la voie. Des experts indépendants devraient pouvoir déterminer cela.

Depuis le premier jour, on a l’impression que dans cette affaire la présomption d’innocence a d’emblée fonctionné en faveur de la SNCF, mais pas trop pour l’employée de la compagnie d’autocars. Comme s’il fallait à tout prix « sauver le soldat Guillaume Pépy »1. Et prendre les devants sur une méfiance diffuse, prompte à s’exprimer « sur les réseaux ». Trois jours après le drame, les proches des victimes réclament des excuses de l’État, se plaignant de la froideur et du manque de compassion des services préfectoraux comme de la cellule de soutien psychologique. Peu après, trois familles se constituent partie civile pour avoir accès au dossier de l’enquête. En quelques jours, une pétition en ligne apporte le soutien de plus de 50 000 signataires à Nadine, la conductrice du bus mise en examen pour « homicides et blessures involontaires par imprudence ». « SNCF = État (à ne pas oublier) », prévient l’intitulé. Si le ton est un brin parano, on décèle, de la part de proches et de collègues de boulot, une sincère volonté de venir en aide à cette mère de famille jetée en pâture à l’opinion publique.

Même si certains internautes et autres trolls de forum raillent sans pitié ces gens qui « ne font rien que de se plaindre » au lieu d’affronter dignement leur deuil, il faudrait chercher la source de ce sentiment qui se généralise. Le doute n’est-il pas provoqué par un État qui roule de plus en plus ouvertement pour l’intérêt privé et affaiblit sciemment la Poste, la SNCF et l’Éducation nationale, sous prétexte de rigueur budgétaire, et afin d’ouvrir la voie à une privatisation réclamée depuis des lustres par le credo libéral de Bruxelles ? Ailleurs – Angleterre, Italie… –, des catastrophes ferroviaires ont couronné la privatisation des transports. En France, accidents, retards, lourdeurs administratives, tarifs exorbitants, stratégie inféodée au trafic routier et bugs informatiques œuvrent comme une sourde pédagogie : pour qu’à terme les usagers, devenus clients, en arrivent à penser que tout vaudra mieux plutôt que cet inepte service public. Voilà sans doute qui, fatalité mise à part, explique la méfiance venant aujourd’hui se mêler à la douleur des familles.


1 PDG de la SNCF.

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