La Poste : Abus de grève, mon pauvre Monsieur !
« Bonjour, je vous écris afin de savoir si vous lisez bien les mails qu’on vous envoie. Ou peut-être que votre boite mail ne marche pas. » Romain Zaragosa est un lecteur de CQFD aussi têtu qu’un bouledogue. Il est facteur à Rueil-Malmaison et nous a contactés quatre fois avant qu’on puisse lui répondre. Un soir, las, on a craqué et on l’a appelé : « On a fait 173 jours de grève en 2014. On se battait pour l’embauche de trois salariés et on a gagné ! » nous a-t-il répondu.
Romain parle des réorganisations. « Sur 60 tournées de facteur, la direction veut en supprimer 20 ! », raconte cet ancien rouleur, un poste où l’on doit connaître plusieurs tournées. Venu de Toulouse, il a été recruté à Tournefeuille après avoir été éducateur de football. Un jour sa femme a trouvé un emploi en région parisienne et, depuis 2008, il est facteur. « J’avais une bonne image de La Poste mais désormais je ne suis plus fier, j’ai pris trop de coups bas de la part de ma direction. » Depuis, Romain a eu un enfant, un burn-out aussi à cause d’un chef d’équipe qui lui foutait la pression. « Les chefs aussi sont mis sous pression. Heureusement je suis une forte tête au travail. »
En 2012, un cadre se donne la mort par pendaison à Tregunc, un autre se défenestre à Rennes1 1… « Le matin à 6 h 30, je commence à couper, je mets mon courrier en case. Après, c’est la pause, on cause foot on bavarde et on attend le second camion, les réexpéditions. Chacun s’organise à sa manière. Je classe par numéro, j’ai une batterie qui fait cent boîtes. Après, je file en vélo électrique… et chaque jour j’ai l’impression d’avoir des tâches supplémentaires, des trucs commerciaux comme des catalogues à proposer aux clients, “Temps L”, ça s’appelle. On doit voir les clients deux fois pour leur vendre ça. » “Temps L”, c’est un catalogue de produits aussi indispensables qu’un nettoie-pieds appelé aussi Easy Feet, un support à œufs pochés, une pince à toasts ou un moule à gaufres. Pas étonnant que le facteur se sente valorisé dans sa nouvelle mission. Ce genre de mission postale qui vous donne envie de vous mettre en grève.
Philippe Wahl, le patron de La Poste, empoche de son côté quelque 736 490 euros par an pour liquider une entreprise qui fut un symbole du service public. 80 000 postes ont été supprimés dans la Grande Jaune. Tout augmente, le salaire du patron et les heures des facteurs. Le prétexte est simple et tout le monde semble l’avoir admis : il n’y aurait plus de courrier. Alors pourquoi les facteurs dans toute la France ploient-ils sous le fardeau tels des Jean Valjean relevant le chariot des conditions de travail insupportables ?
Dans les Hauts-de-Seine, c’est facile, c’est une grève politique, on tient les coupables : les syndicalistes de SUD dont certains, nous dit-on, seraient de dangereux trotskistes à poil dur. Durant la grève homérique de 2014, Gaël Quirante s’est vu convoqué au commissariat trois fois. Il possède un palmarès édifiant : en juillet dernier, tout en le convoquant pour le réprimander de ses intrusions et de ses prises de parole non autorisées dans les bureaux de La Poste, on lui a demandé s’il avait été jeté à terre par un cadre en décembre 2013 ! Ambiance… Il a été mis à pied trois fois et a été entendu notamment parce qu’il portait un tee-shirt « Justice pour la Palestine ». La direction de La Poste, « qui est Charlie » comme me le précise Stéphanie Le Guen de SUD PTT, s’est félicitée du dialogue social. La preuve, deux jours après les attentats, elle révoque un autre syndicaliste, Yann Le Merrer, au motif qu’il propage la grève comme le choléra auprès de ses petits camarades. Non pas qu’il ait frappé un cadre, insulté un vigile, des motifs régulièrement invoqués par l’entreprise jaune, Yann Le Merrer abuse de son droit de grève. Lui aussi fait des prises de parole et entre dans des bureaux de poste sans y être invité. Manquerait plus qu’il soit breton. N’y voyez aucune malice mais ce ne sont pas les trotskistes qui ont infiltré La Poste mais les Bretons. Stéphanie Le Guen justement : « On a soutenu les facteurs d’un bureau du 7e arrondissement de Paris qui refusaient de distribuer des tracts du Front National. » Olivier Rosay estime que la direction jaune et bleue « est devenue folle quand Paris a rejoint le mouvement du 92 ! Du coup la nouveauté ça a été le lock-out et les flics ». Stéphanie insiste : « Un jeune facteur en période d’essai refusait de distribuer la propagande frontiste, il a été viré ! »
Gaël Quirante ne décolère pas. « Ils veulent casser le cœur du métier de livraison de courrier et utiliser le maillage pour faire tout et n’importe quoi. » Outre le permis de conduire, La Poste invente pour ses facteurs désœuvrés « Animaleo », la possibilité pendant la tournée de s’occuper des animaux domestiques. « Tu peux l’écrire, ce sont de vrais psychopathes les mecs qui inventent ça ! » Pourtant, pas si bête de faire promener le chien pendant la tournée du facteur. On les imagine très bien avec une douzaine de clébards de luxe, les traînant dans Neuilly sur des patins à roulettes ! « On commercialise le lien social », déplore Gaël.
Cette grève homérique s’est donc étendue sur cinq communes des Hauts-de-Seine. Les facteurs en mouvement se réunissaient en assemblée générale départementale puis décidaient d’actions : envahissement de bureaux de poste ou des sièges sociaux de la boîte. « On voulait éviter le “Tournez manège des grèves” mais fédérer dans la durée des mouvements de mécontentement locaux », poursuit Gaël.
Quand la Poste frappe.
La « macronisation » des esprits avance. Et la direction, pour se venger de cette longue grève perdue, s’amuse à déplacer les fortes têtes malgré les condamnations de la justice. Stéphanie Le Guen, elle, a été mise au placard dans un service aux entreprises : « Ils m’ont séparée du collectif de travail auquel j’appartenais. » Pas sûr que La Poste y gagne à disperser cette gangrène révolutionnaire dans tous les coins de Paris, elle risque de contaminer d’autres bureaux. Yann Le Merrer, bien que secrétaire SUD PTT, survit au RSA depuis un bon moment. Il a été mis à pied en 2010, « une grève sur Châtillon, Clamart et Asnières avec une séquestration qui a fini en correctionnel, mais on a été relaxés ». Les prises de parole tant qu’elles ne gênent pas le travail sont admises depuis belle lurette. Yann va plus loin : « Nous, on les fait quand on veut. Un coup il faut les prévenir la veille, d’autres fois évoquer un motif, prévenir 48 heures avant. » En bref c’est la lutte des classes dans toute sa splendeur avec des prolétaires qui ne veulent pas s’en laisser conter : « Auparavant, on s’était arrangés avec un patron de Gennevilliers. On annonce qu’on vient à la pause, à minuit, on a prévenu et lui nous interdit de rentrer. Et là, on rentre quand même ! On était à la cantine, il appelle la BAC qui, elle, n’a pas osé intervenir. » A force de répression, aujourd’hui, dans Paris, il n’y a plus de prise de parole. Gilles Le Houezec de SUD PTT dans le Cher explique : « Les condamnations font partie de leur budget. La Poste ne veut plus rien négocier. » « Nos pratiques n’ont plus lieu d’être pour La Poste, c’est l’ère du dialogue social », rigole Yann Le Merrer.
Et ailleurs en France...
à Ajaccio ce n’est pas moins de trois mois de grève qui ont été menés en 2014 par les facteurs contre les dégradations de leurs conditions de travail suite à la réorganisation de l’entreprise. Rudy Albertini me raconte depuis les bureaux de la CGT : « Les nouvelles flexibilités n’ont qu’un but : supprimer des emplois. On appelle ça la sécabilité. On nous parle de baisse de courrier alors que les points de remises, eux, augmentent. » Dans le conflit corse, le directeur régional a joué dans la radicalisation : « Si des cadres ont contribué au mal-être, lui voulait casser l’établissement. » En fin de compte, les grévistes corses ont eu gain de cause : trois postes ont été créés, la sécabilité réduite et l’espoir pour tous les postiers. Rappelons qu’à Marseille en 2005, Magali, guichetière, avait enchaîné 245 CDD en cinq ans !
Bruno Gagne de la CGT de l’Hérault explique la situation dans le département : « La réorganisation devient folle. A Pézenas, on a un jeune sans permis et sans formation qui s’est planté en moto en tournée. » Bruno a également suivi le cas de Mohamed Yacubi, un facteur de St-Jean-de-Védas qui a été licencié car il demandait le paiement des heures supplémentaires. Mohamed témoigne : « On m’interdisait de faire des heures supplémentaires et de l’autre côté, on me reprochait de ramener du courrier. » A partir de Facteur d’Avenir, un projet de La Poste destiné à faire du facteur un factotum multifonctions, les agents vont subir des choses inacceptables. Les tournées s’allongent mais ne paient pas. La propagande de la Poste s’intensifie sur le facteur Tire-au-flanc. Mohamed, lui, résiste comme le lui ont montré les anciens syndicalistes. « On les a contraints à mettre une pointeuse et j’ai fait intervenir l’inspection du travail pour prouver qu’il y avait du travail réel et donc dissimulé. » En 2012, à force de rédiger des courriers de protestation, il est licencié. « La machine à broyer est en marche et quand ils auront fini de presser le citron des facteurs, ils iront ailleurs. ». Avant de raccrocher, Mohamed tient à témoigner au député André Chassaigne de sa gratitude pour son soutien. Dont acte.
« C’est inhumain une lutte, ils voulaient ma peau », me raconte Gilles Le Houezec qui est en arrêt maladie désormais. A Aubigny-sur-Nère, dans le département du Cher, les facteurs en avaient assez de ne pas être payés pour des heures toujours plus lourdes. La grève a duré 130 jours pour ne pas, entre autres, passer à la pause méridienne, une pause qui coupait la journée du facteur. « La pause méridienne c’est de la communication », estime Gilles qui est en guerre contre son entreprise : « Une particularité à Aubigny, c’est qu’on a été obligés de faire du judiciaire car La Poste a bafoué le droit tous les jours. » Pourtant ce village de 5 000 âmes est loin d’être un bastion révolutionnaire. « Ici on travaille même avec la grippe », raconte Gilles Le Houezec. Sauf que les médecins de prévention de La Poste estiment que l’entreprise fabrique des inaptes physiques et psychologiques2. « Pendant notre grève, La Poste a fait venir des cadres au début puis elle a promis un CDI à ceux qui acceptaient de venir nous remplacer. Des précaires venaient de plus de cent kilomètres. C’est honteux ! »
Serge Reynaud, postier à Marseille qui a réintégré La Poste après avoir été mis à pied deux ans, estime que face à la répression syndicale, une des fenêtres de tir réside dans les collectifs d’usagers : « Ils redoutent la réaction des usagers. C’est pour ça qu’on leur donne les numéros de téléphone où se plaindre. » L’autre force tient aux caisses de grève. Dans les Hauts-de-Seine les militants tiennent avec le soutien de la population, à Aubigny ce sont des billets de 20 euros envoyés par des facteurs solidaires, à Arles c’est une caisse continuellement approvisionnée par les salaires. « La solidarité nationale a été au-delà de nos espérances, de la part des syndicats comme des gens », conclut Gilles le Houezec.
Cet article a été publié dans
CQFD n°130 (mars 2015)
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Paru dans CQFD n°130 (mars 2015)
Par
Illustré par Charmag
Mis en ligne le 08.04.2015
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10 avril 2015, 14:40, par accro-lecteur
Belle plume qui s’affine d’article en article pour décrire ici, une vision de La Poste. C’est le tableau impressionniste d’une situation disparate, confuse et pas si tranchée que ça. Pour ma part, je trouve votre article bien partisan, quoi que ce mot ne soit pas dans ma bouche négatif : leur chant est lourd de sens et d’histoire. Mais sommes-nous dans un tel environnement ? Certes pas, les dessins qui accompagnent vos propos font montre de l’investissement de l’employeur pour habiller de pied et cap leurs employés, leur fournir des véhicules décarbonnés et pourtant plus faciles à utiliser. Que dire aussi des 3,7 milliards dépensés pour mettre en place de véritables usines à trier le courrier et de la charge qui ne pèse plus sur les facteurs le matin. Alors, mettre en place l’auto-remplacelement et faire évoluer la journée de travail au rythme de l’évolution de la société n’est pas si étonnant ; sauf pour la Corse si j’ai bien lù ;). Parlons maintenant de la profession de facteur et du lien social : le facteur, cette profession libérale qui s’ignore, travaillant le matin d’arrache pied, de retour de sa tournée avant l’heure car il sait que la règle du "fini-parti" s’appliquait. Et bien oui, jusqu’à lors, si la tournée ne prennait que 80% du temps, le facteur rentrait chez lui vaquer à bien d’autres occupations parfois lucratives, souvent chez les clients de "sa" tournée... Où est le lien social dans cette approche individualiste et mercantile ? C’est juste la fin d’une époque et le début d’une nouvelle, à l’ombre du numérique, que nous utilisons actuellement, et qui grignotte le passé...
7 juillet 2015, 11:43
Bal contre la répression syndicale : A la Poste, à Carrefour, à l’Inspection du travail...dansons contre les méchants patrons le 13 juillet 2015 devant le local de Solidaires, boulevard Longchamp à Marseille de 19h à 22 heures.
8 novembre 2015, 21:07, par CG
Encore La Poste.
A Valence, d’où on nous adresse un message de désespoir, un postier nous raconte que le courrier est bloqué depuis des mois. Pas de remplaçants, des tournées impossibles à faire et donc des boites de courrier pleins à craquer et pas distribuées. On voit très bien : Ici même à Marseille on ne reçoit plus les milliers d’abonnements pour le journal ! Dans la Drôme, la plateforme courrier a été éclatée en quatre sites. Les usagers qui râlent et qui agressent les facteurs, on les met sur répondeur pour qu’ils évitent de se plaindre. « Je vous jure que c’est germinal à la Poste depuis quelques années » nous confie-il. « Des collègues sont en dépression, d’autres pleurent devant leur casier. »
27 mars 2018, 12:27, par SUD PTT 13
Muriel Pénicaud vient de décider d’aller à l’encontre de l’avis de l’inspection du travail et du rapport de la contre-enquête qui concluaient tous à une discrimination syndicale et d’autoriser le licenciement de Gaël Quirante, syndicaliste à la Poste du 92. Il s’agit donc bien là d’une décision politique qui tourne le dos au droit du travail. Cette décision, datée du 20 mars (fin du délai légal pour autoriser le licenciement), Gaël n’en a pris connaissance qu’aujourd’hui samedi 24 mars par un recommandé posté... le 22 mars.
Tous les détails dans cette vidéo :
https://www.facebook.com/ sudposte.hautsdeseine/videos/ 1778545179120538/ ?t=12
Nous rappelons que techniquement Gaël n’est pas encore licencié puisque si la ministre autorise son licenciement, rien n’oblige la direction de la Poste à le faire.
Nous ne laisserons pas passer le licenciement de Gaël !
Dans un contexte où les mobilisations se développent dans plusieurs secteurs, le gouvernement fait donc le choix de frapper le plus fort possible... contre un syndicaliste en piétinant le droit du travail, contre un de ces militants qui cherche justement à regrouper les luttes qui se développent à la Poste comme ailleurs ! Il fait ce choix alors même qu’un soutien très large (du monde syndical, politique, universitaire, culturel...) s’était exprimé pour s’opposer au licenciement de Gaël (voir tribune parue dans Libération en fin de mail).
Notre riposte doit être immédiate et massive.
La journée de lundi 26 mars sera donc placée sous le signe de la mobilisation avec un préavis de grève sur la Poste du 92 (un préavis national de la fédération Sud PTT est également déposé).