Lisons l’adversaire

L’extrême gauche pour les fafs

Quand l’extrême droite se penche sur la « gauche radicale » et sa « violence », ça n’est pas triste. Et tout en finesse. Revue de détail.

Un local frontiste, c’est comme une boîte de chocolat : on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Prenez celui de Marseille (6e arrondissement) : le décorum peut laisser de glace et le bar, comme les habitués, ne donne guère envie. Mais côté « littérature », on n’est pas déçu : Valeurs actuelles, Présent… Et, surprise du chef, une bibliothèque où l’on trouve, entre autres, outre un bouquin de la très-à-gauche maison d’édition Agone (Une Histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn), toute la bibliographie nauséeuse de Laurent Obertone, essayiste très influent à l’extrême droite.

Et puis, sur une table basse, une brochure bleu marine. Des silhouettes encapuchonnées sur fond d’incendie et un titre qui claque : Gauche radicale et violences en Europe. Un bras droit du frontiste marseillais Stéphane Ravier nous tape sur l’épaule : « T’inquiète  ! T’es dedans  ! » (l’auteur de ces lignes émarge chaque mois au Ravi, mensuel régional d’enquête et de satire basé à Marseille). L’opuscule de 85 pages, aussi glacé que glaçant, est un « rapport » de la fondation Identité et démocratie. Un organisme lié au groupe politique du même nom, réunissant plusieurs partis d’extrême droite au Parlement européen (Rassemblement national en France, Alternative für Deutschland en Allemagne, la Lega en Italie…). C’est le député européen RN Nicolas Bay (que nous avons tenté de joindre, sans succès) qui signe la préface, carabinée : « La gauche bénéficie dans l’imaginaire collectif d’une image de bienveillance. Oubliés les Robespierre, Lénine, Staline, Mao… Pourtant, il existe bien “à gauche” une propension à la violence. » Laquelle bénéficierait même d’une « certaine mansuétude médiatique et surtout d’une insupportable impunité judiciaire ».

De la « ZAD » à « l’antispécisme » en passant par les « antifa », aucune « composante » du milieu n’est épargnée. Avec une titraille tout en nuance : « Black Block, quand une méthode devient un mythe. » Ou bien : « Autonomes, la violence comme transgression par l’acte »…

On sent toutefois que les auteurs sont tiraillés. Il y a, d’un côté, la volonté de forcer le trait : « devoir de haine », « [un] caméraman proche de la droite radicale lynché », « incendie d’une voiture de police par les Black Blocks » et même « secte » à propos de Tarnac. Mais, de l’autre, il y a aussi la tentation de dire que les ennemis ne pèsent pas lourd. La « revue d’effectifs » consiste en un simple tour des différentes « pages Facebook » pour conclure que « la mouvance radicale de gauche est numériquement limitée ». Avec, en guise de portrait-robot, celui des « militants violents de gauche » berlinois : « Surreprésentation de l’élément masculin et des moins de 30 ans, une majorité sans emploi, 92 % habitant chez leur mère, ce qui indique des familles monoparentales sans fratrie… »

Jalousie

Problème. Pour la fondation, le but est d’expliquer qu’il n’est plus « possible de traiter la question de la gauche radicale du simple point de vue politique ». Elle en appelle donc à « des mesures de sécurité publique allant au-delà du simple suivi des services de renseignement ». Sauf qu’ » à l’aune du terrorisme islamiste, les violences de la gauche radicale se révèlent faibles et ne sont pas de nature à inquiéter ». Alors, que faire ?

Tout bêtement, dégainer l’ennemi préféré : l’immigré ! « Si la “convergence des luttes” recherchée par la gauche radicale avec les populations issues de l’immigration ne semble pas pouvoir se réaliser, le risque existe d’une addition des violences. » D’où des chapitres nauséabonds sur les « quartiers populaires » et « la frontière comme lutte centrale ». Les violences institutionnelles s’y voient minimisées tandis que les militants sont tenus responsables du décès des « clandestins morts de froid » !

Prétendant comparer « les exemples de la France et de l’Allemagne », la brochure est des plus légères sur l’international. Le gros morceau est, sans surprise, le mouvement des Gilets jaunes, avec un chapitre intitulé : « Suspicion, récupération, révolution  ? » Gonflé de voir l’extrême droite accuser l’extrême gauche d’avoir tenté de faire la même chose qu’elle... Une histoire de paille et de poutre. En atteste la couverture de National 13, le journal du RN des Bouches-du-Rhône, où l’on voit les frontistes du coin sur le Vieux-Port tout de jaune vêtus !

Au-delà de la curiosité et de l’outrance, cette brochure n’en constitue pas moins un outil de formation qui interpelle. Surtout lorsqu’on voit, à la faveur des municipales, le nombre de candidats sur les listes du RN venant du monde de la « sécurité ». Ou Le Point sortir un numéro titré » Ultragauche, la menace » (quelques jours après la tuerie raciste de Hanau, en Allemagne…).

Mais ne boudons pas notre plaisir. Car si, à force de lecture, on sent poindre parfois sinon de la sympathie du moins une forme de respect, le plus jouissif, c’est ce constat aux allures d’aveu, pour expliquer pourquoi la fondation se penche sur les gauchistes : « Par leur capacité d’organisation, leurs effectifs mais aussi leurs histoires et leurs discours, les groupes de gauche radicale l’emportent largement sur ceux de droite. » L’hommage du vice à la vertu ?

Sébastien Boistel
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