Mais qu’est-ce qu’on va faire de... Jean-Bernard Lévy
En vieux loup des affaires, Jean-Bernard Lévy n’a cessé de louvoyer du public au privé, de grands groupes en ministères. Avec l’aide de son pote UMP Gérard Longuet, il a notamment usé des titres de directeur de cabinet au ministère de l’Industrie et de directeur général de Vivendi. Avec un CV long comme le bras, alors à la tête de Thalès, il séduit l’Élysée et les parlementaires pour embarquer à la tête d’EDF, le 21 novembre 2014.
En 2010, Henri Proglio, son sulfureux prédécesseur à EDF (et successeur provisoire à Thalès) souhaite que le « premier acteur nucléaire au monde [joue] un rôle central dans la coordination de la filière1 ». Cinq ans plus tard, alors qu’Areva, partenaire historique dans « l’équipe de France du nucléaire », prend l’eau, Lévy plaide pour le rachat de ses activités réacteurs. Et tant pis si de Proglio à Lévy, Fukushima est passé par là et que la construction de l’EPR en Finlande et à Flamanville est un fiasco technique et financier. L’amiral Lévy ne veut pas voir démanteler son vaisseau fétiche. Il défend qu’« un ménage français, s’il vit de l’autre côté de la frontière allemande, paye 88% de plus2 » pour sa consommation d’électricité. Ristourne imputée à la grande part du nucléaire dans le panachage mené par EDF pour la production d’électricité. Mais avec le vieillissement des centrales, le nucléaire a un coût qui finira par peser sur le consommateur. Sans parler de celui non évalué, environnemental et financier, du traitement des déchets, du démantèlement des centrales et des catastrophes. Surfant sur le prétexte de la réponse au réchauffement climatique, Lévy demande au gouvernement de « donner les moyens d’investir pour les énergies renouvelables et pour la rénovation3 » de son parc nucléaire. 55 milliards d’euros sur dix ans pour l’atome. « Grand carénage » qui ressemble à un coup de peinture verte sur une vieille coque en perdition.
A Rousset dans les Bouches-du-Rhône, les 77 salariés de Nexcis s’étranglent. La filiale Recherche et Développement d’EDF développe en particulier des modules pour intégrer des panneaux solaires dans du vitrage. Avec une perspective d’autoconsommation pour les bâtiments qui en seraient équipés. A la surprise des professionnels du photovoltaïque, début mars, EDF annonce qu’elle ne veut plus de Nexcis. La start-up coulerait au 30 septembre en l’absence de repreneur. Que comprendre de la décision de l’électricien gavé de Crédit Impôts Recherche (CIR) ?
Voulu comme un mécanisme d’incitation fiscale pour promouvoir la recherche dans les entreprises, le CIR est pointé du doigt par la Cour des comptes et une commission sénatoriale comme un outil d’optimisation fiscale massive. Le CIR concourt au détournement par les grandes entreprises de « 6,2 milliards d’euros entre 2007 et 2012, soit plus de 40 % 4 » de son enveloppe. EDF serait-elle emportée par « un comportement opportuniste chez certaines entreprises qui tentent [de] bénéficier [du CIR] sans réellement investir dans la recherche ou l’innovation4 » ? Les syndicalistes de Nexcis crient au « cash rapide » que la maison-mère se fera sur les 17 brevets, trésor de leur boîte.
Le timonier Lévy tente de se justifier maladroitement : « La France n’est pas un pays avec un ensoleillement considérable. Le solaire en France est moyennement compétitif.5 » Sous un ensoleillement bien moins important que celui de la France, l’Allemagne est pourtant reine mondiale de la production d’électricité d’origine solaire. Non, amiral Lévy, en dépit de tous vos travaux de calfatage écologique, votre rafiot technocratique ne sera jamais à la tête d’une véritable transition énergétique et encore moins de l’indispensable transformation sociale qui doit l’accompagner.
1 Entretien au Figaro, 12 février 2010.
2 Europe 1, 19 mai 2015.
3 RTL, 12 février 2015.
4 « Soupçon de fraude massive sur le CIR », blog sciences de Libération, 16 avril 2015. http://sciences.blogs.liberation.fr/.
5 France Inter, 11 avril 2015.
Cet article a été publié dans
CQFD n°134 (juillet-août 2015)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°134 (juillet-août 2015)
Dans la rubrique Mais qu’est-ce qu’on va faire de…
Par
Mis en ligne le 05.07.2018
Dans CQFD n°134 (juillet-août 2015)
Derniers articles de Pierre Isnard-Dupuy