Chronique antisociale
« J’ai touché le fond de la piscine »
Il ne faut pas chercher des morpions dans le slip de bain de Richard Miron, adjoint au Sport du maire de Marseille, sinon il dégoupille. Et ça peut vite déraper. La chambre régionale des comptes (CRC) lui reproche une gestion calamiteuse des piscines municipales, surtout dans les quartiers populaires ? Il réplique tout à trac : « Culturellement, dans les quartiers Nord, on a moins envie d’aller nager que dans les quartiers Sud. » Sous-entendu : barbus avec canard flotteur, femmes en burkini et mioches en surpoids n’ont qu’à aller se faire voir à Corbière, seule plage à portée de bus au nord de La Canebière.
Du coup, j’ai eu envie d’aller visiter le Salon de la piscine1. N’écoutant que mon courage, je file au parc Chanot. Ce dimanche, il n’y a pas foule et « les jours précédents, c’était pareil », m’avoue-t-on dès l’entrée. Direct, je tombe sur ze bidule. La cabine Aqua-training trois en un. Soit « bike, run and spa ». Ça déchire ! Dedans, on peut faire du vélo, de la marche et même du… spa. C’est comme une grande baignoire d’un mètre de haut, en polyester. Un bain romain version cheap. « Ainsi, me dit la vendeuse, on retrouve l’activité sportive, mais sans l’ingratitude du sport. » Ça me bouleverse : le vélo électrique, le sport sans sueur, l’effort sans douleur… Après quelques explications sur la boîte qui fabrique cette cabine destinée aux kinés et autres salles de fitness à la mode, je demande le prix : 19 000 € HT. Je promets de revenir quand le salaire des vacataires aura été triplé chaque 1er janvier pendant dix ans. Et je reprends ma déambulation entre paillotes et Jacuzzi multi-jets.
« Le marché va très bien »
Je repense à Richard Miron. Début février, la CRC déplorait donc la qualité et le nombre de piscines à Marseille, promue en 2017 Capitale européenne du sport. Nombre insuffisant (4,3 m² de bassin pour 1 000 habitants dans les quartiers Nord, contre 17 m² à Lyon), coût d’exploitation élevé, personnel pléthorique, horaires rachitiques… Selon la CRC, « l’offre existante s’est considérablement dégradée » et « moins de 5 % des dépenses prévues » par un plan de mise à niveau lancé en 2010 avaient été engagées fin 2015. La chambre émet l’hypothèse qu’au rythme actuel, le retard sera comblé d’ici la fin du siècle. Ouf. Quant à l’absentéisme, la mairie l’explique par « la réalité des caractéristiques bio-psycho-sociales et démographiques du personnel (âge, contre-indications médicales, contraintes liées au travail isolé) »2.
Sur un stand d’abris de piscine, le vendeur me toise. Avec ma capuche, je n’ai pas la dégaine du client idéal. Je le cuisine, il se met à table : « Le marché de la piscine va très bien. Et nous aussi. » L’an dernier, pas moins de 100 000 piscines se sont vendues en France, classée deuxième mondiale dans la catégorie. En 2017, le marché représentait 2,1 milliards d’euros, et on comptait plus de 2 millions de piscines privées dans l’Hexagone. Soit, à la louche, une piscine pour 30 habitants. Ne sont pas comptabilisés les Marseillais des quartiers Nord qui ne savent pas nager, ni ceux qui se ruent sur le Nutella à l’Intermarché du coin – ce sont souvent les mêmes, d’ailleurs. Donc, résumons : « 15 piscines opérationnelles » à Marseille, 2 896 bassins publics en France, mais 100 000 piscines privées vendues l’an dernier. Bientôt, il sera plus facile de nager chez des connaissances qu’à la pistoche municipale. Mais attention, mon vendeur me met en garde contre les autres exposants, qui se fournissent en Chine, avec des vis et clous résistant mal au chlore. « Vous me garantissez la provenance ? », je demande. « Nous ? Mais c’est extrudé à Toulouse ! », il répond. « Et pour l’aluminium ? » La Guinée, sans doute. Pays souverain, la Guinée est surtout un gros tas de bauxite avec laquelle on fait l’aluminium. Parfois, le Guinéen s’exile en France. S’il trouve un boulot dans le secteur de la piscine, il installera des abris en alu extrait de la terre de ses ancêtres. Et le Français moyen, bien à l’abri, votera pour qu’on le renvoie chez lui. C’est ça, l’économie circulaire.
Gazon (synthétique) maudit
Tu te demandes peut-être pourquoi acheter une piscine ? Pour éviter de recevoir sur la tête un gamin de 75 kilos qui saute en bombe et en hurlant. Sans oublier la plus-value : avec pataugeoire privative, ta baraque vaut 20 % plus cher. À bord de ton phaéton, tu évites les péages et les bouchons, parce que la mer, sans le putain de sel, c’est chez toi maintenant. Surtout, c’est toi qui décides qui tu invites, et tu peux même faire le tri des copains de tes chers enfants. À toi l’apartheid maison !
Allez, on replonge. Une piscine, ce n’est pas qu’un bassin. Il y aussi les à-côtés. Dont le gazon synthétique. L’herbe, c’est sale, ça pompe de l’eau. Mon gazoniste doit carburer à la coke, on croirait écouter France Info en accéléré : « Notre gazon vient de Hollande. Pas comme ces menteurs d’à côté, dont le gazon passe par la Chine, coloré on ne sait où, avant d’être estampillé ‘‘ Fabrication française ” au moment de l’emballage. » J’apprécie la sincérité. Accoudé sur du latex bas de gamme, je note le prix : 14,60 € le m², à peine plus cher que du fromage auvergnat. « Et pour le recyclage ? » Là, ça coince. Le gazon, c’est comme du pneu. Personne ne recycle ça. Dix ans de bonheur, puis hop, à la poubelle. Comme ton gosse. Eh oui, parce que question noyade, pour les moins de cinq berges, c’est du lourd, la piscine privée. Ça finit souvent au fond, avec le petit pull marine. On connaît la chanson.
Allez zou, je finis mon tour et je facture : 24 000 € le Jacuzzi, 30 000 la treille et 80 000 la piscine. Ça commence à peser. L’entrée à la piscine Vallier, c’est 3 €. Une belle affaire, quand elle est ouverte. Comme l’écrivait Kafka dans son journal : « 2 août 1914, l’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. Après-midi : piscine. »
1 De son vrai nom « Salon de la piscine, jardin et rénovation de la maison », il s’est tenu mi-février à Marseille.
2 Dans « La chambre régionale des comptes torpille la gestion des piscines à Marseille », article mis en ligne sur le site du Monde le 10/02/18.
Cet article a été publié dans
CQFD n°163 (mars 2018)
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Paru dans CQFD n°163 (mars 2018)
Par
Illustré par Plonk et Replonk
Mis en ligne le 07.04.2018
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Dans CQFD n°163 (mars 2018)
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18 avril 2018, 22:16, par Vengeur masqué.
Et ca ne date pas d’hier. Jetez un oeil sur ce procès de la noyade d’une petite du à la négligence des agents municipaux de la piscine de la Pointe Rouge. La meilleure défense c’est l’attaque Monsieur Miron et notre cher agent Force Ouvrière...
https://www.laprovence.com/article/...