Irlande : Les lutins se mutinent

Depuis fin octobre, en Irlande, une suite d’événements exceptionnels ont ébranlé la caste politique au pouvoir  : des manifestations. Damanta  ! Une nouvelle loi aurait-elle assoupli l’interdiction de l’IVG ? La consommation de whisky aurait-elle été placée sous condition de ressources ? Que nenni, la coalition de centre gauche du Premier ministre Enda Kenny s’apprête à imposer une redevance supplémentaire sur l’eau – sa consommation est déjà prise en compte dans le calcul des impôts – en contrepartie du plan de sauvetage financier accordé par la Troïka en 2010. Début novembre, 20 000 personnes défilaient dans les rues de Dublin et 130 000 dans le reste du pays pour en réclamer le retrait. Habitués à un certain fatalisme national, les journalistes du quotidien The Independent ne cachaient pas leur étonnement  : «  Il a souvent été souligné que les Irlandais ne sont pas particulièrement enclins à sortir dans les rues pour exprimer leur mécontentement. C’est ce qui rend les manifestations contre la redevance sur l’eau remarquables et qui en font un sérieux signal d’alarme pour le gouvernement. »

Depuis lors, Enda Kenny s’est recroquevillé sur de petites concessions en espérant glisser un projet de loi pour janvier prochain, promettant un plafond de 240 euros annuels par foyer, puis de 160 euros… sans réussir à apaiser ses désormais bouillants concitoyens. Le 15 novembre, la vice-Première ministre Joan Burton était bloquée pendant deux heures dans sa voiture par un groupe de manifestants et, quelques jours plus tard, c’était au tour du Premier ministre lui-même de se faire secouer par une foule de 300 personnes. Tandis que le ministre du Budget Brendan Howlin s’était presque excusé en avouant  : « Nous n’avions pas le choix. Il nous était impossible de dire non à la Troïka. »

« Il est clair pour nous tous qu’après huit années de rigueur et d’incertitude, un grand nombre d’Irlandais honnêtes et travailleurs en ont assez. La redevance n’est pas l’unique raison de ce mouvement de colère », écrivait avec sagacité The Independent à la mi-novembre. En touchant à un droit fondamental de ses administrés, le gouvernement a fait éclater les colères refoulées d’une longue période austéritaire. Insulté comme d’autres vilains moutons noirs de l’UE à travers l’odieux acronyme PIGS (Portugal, Ireland, Greece, Spain), le pays a été l’une des premières cibles des réformes structurelles de la Troïka. Et malgré des prévisions de croissance plutôt fanfaronnantes à 4,7 % pour cette année, la plupart de ses habitants ne voient toujours pas les bénéfices d’un lent rétablissement. Avec un taux de chômage stagnant à 11% et des inégalités sociales verdoyantes, les lutins ne sont pas près de rentrer sous terre.

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