L’édito du 193

Info exclusive : tout le monde détesterait la police

Depuis le tabassage de Michel Zecler, nombre de médias mainstream semblent enfin ouvrir les yeux sur les violences policières. Mais cette soudaine vague d’interrogations sur l’institution policière risque fort de se volatiliser en quelques jours.
Manif du 28 novembre 2020 à Paris
Photo Serge d’Ignazio

Jean-Michel Blanquer, tu lui colles une perruque jaune pipi, on dirait Donald Trump. En tout cas, dans le propos, c’est peu ou prou kif-kif. Deux enquêtes de médias mainstream (Mediapart et Libération) ont révélé que grâce à de généreux subsides venus du ministère de l’Éducation nationale, le syndicat Avenir lycéen avait bénéficié d’un train de vie que rédacteurs et lecteurs de CQFD n’ont jamais effleuré même dans leurs rêves. Créée en 2018, la structure est aussi soupçonnée d’avoir été téléguidée par ledit ministère pour soutenir ses réformes. Riposte médiatique de Blanquer, dans le pur style mensonger de l’allumé de la Maison-Blanche : c’est un coup de « l’ultra-gauche »1 qui « crée de la polémique pour rien ». Chez les politiciens en 2020, dire nawak ça passe crème...

Au sein des rédactions par contre, jeter un œil dans le rétro et fouiller dans ses archives pour éviter de découvrir la lune, c’est beaucoup moins tendance. C’est vrai, depuis le tabassage de Michel Zecler à Paris le 21 novembre par trois policiers, nombre de médias semblent enfin ouvrir les yeux. Menacées dans leur sacro-sainte profession par l’article 24 de la loi « Sécurité globale », les têtes de gondoles des kiosques et écrans se sont indignées face aux images de ce déferlement de violence gratuite et raciste. Certains ont même lointainement titillé la grande révélation : « Quoi ? Il y aurait une “violence systémique” dans la police, voire un “racisme structurel” ? » Truc de dingue.

Mais tout cela semble artificiel, éphémère. Alors que l’urgence ne date pas d’hier – loin de là. Et si pour une fois vous considériez les choses sur le temps long, vous, les médias et politiciens spécialistes ès œillères ? Vous vous souvenez qu’en 1983 la Marche pour l’égalité et contre le racisme, aka la « Marche des beurs », est née d’un ras-le-bol des violences policières qui touchaient spécifiquement les jeunes des quartiers populaires ? Et dans les années 1990 et 2000, le travail, entre autres, des militants du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) ne dénonçait-il pas les violences racistes en uniforme ? Et il faut encore vous la publier, la – longue – liste des gens décédés d’avoir fréquenté de trop près les forces de l’ordre ? On vous la remet, la bibliographie de feu le camarade Maurice Rajsfus – des dizaines de bouquins documentant et analysant la question depuis des décennies ? On vous les rappelle, les mobilisations ayant suivi les innombrables décès de jeunes racisés en banlieue, qu’il s’agisse de Zyed Benna et Bouna Traoré en 2005 ou d’Adama Traoré en 2016, cette dernière non-bavure ayant donné lieu à la création du comité Vérité pour Adama qui mène depuis un travail salutaire sur la question dans l’indifférence quasi générale ?

Il ne s’agit évidemment pas de regretter que la question perce un chouïa le plafond de verre. Mais plutôt de craindre que cette soudaine vague d’interrogations sur l’institution policière se volatilise d’ici quelques jours, à l’image de l’affaire Blanquer, quand l’agenda médiatique aura changé et que les réseaux sociaux turbineront sur un autre sujet – au choix : la sempiternelle fin des 35 heures, l’accident de snowboard fatal de Jean Castex ou la naissance de petits chiots présidentiels dans le jardin de l’Élysée.

Une chose est sûre : dans un contexte de glissement liberticide accéléré, d’ailleurs porté par la volonté de museler les potentiels témoins de violences policières, il apparaît évident que la principale arme en mesure d’enrayer l’enlisement reste celle de toujours : la rue. Les massives manifestations du samedi 28 novembre ont montré qu’un mouvement semble se construire. À nous de maintenir la pression et de faire monter la mayonnaise déter’. Qui sème la matraque récolte un sévère retour de bâton dans la gueule. Enfin, il faut espérer.


1 Libération, d’ultra-gauche ? Et nous alors, on est quoi du coup ? De turbo-gauche ?

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