Harpagon’s not dead

C‘est l’une, parmi tellement d’autres, des « petites » – mais quotidiennes – manipulations où la « grande » presse excelle.

Dans son édition datée du 7 octobre 2012, Le Monde, « quotidien de référence », narre, à la une, que « la crise attise les mouvements de révolte contre l’impôt » – et que cela se voit à ce que, dans le même temps qu’« en France, les “Pigeons” ont fait reculer le gouvernement, des frondes similaires ont surgi en Irlande, en Italie, en Grèce, au Portugal ».

Les « Pigeons » sont, tu sais, ces entrepreneurs ultra-libéraux qui n’ont pas du tout aimé que le gouvernement forme le projet de les taxer un peu plus lourdement que les smicard(e)s – et qui ont menacé d’organiser une grosse manifestation de droite, pour protester contre cette inique prétention. (Ce que voyant : les « socialistes », toujours prompts à se couvrir de honte, ont immédiatement renoncé à leur hausser le prélèvement.)

Et c’est cette « révolte », façon camionneurs chiliens against Allende, que Le Monde amalgame, très tranquillement, avec celle des « Portugais, d’ordinaire disciplinés » (sic), qui, à la mi-septembre « sont descendus dans les rues, en colère contre la décision du gouvernement de relever les cotisations salariales tout en réduisant les cotisations patronales » – et qui sont arrivés, eux aussi, « à faire reculer l’État ». Sauf qu’en vrai, comme t’auras compris1 : il n’y a rien de commun entre ces deux accès de mauvaise humeur.

Dans un cas : les Portugais se sont soulevés – et comme ils ont bien fait – contre un nouvel assaut des marchés, qui exigeaient de leurs dirigeants qu’ils procèdent à une nouvelle ponction des pauvres, pour mieux gaver les riches. Dans l’autre : des capitalistes 2.0, cramponnés à leurs plus-values comme est la moule à son rocher, ont menacé de se fâcher tout bleu, si Jean-Marc Ayrault persistait à vouloir mettre un (tout petit) peu plus d’équité dans la taxation de la possédance.

Dans un cas : un peuple déjà saigné à blanc a jugé qu’il avait assez donné, pour l’engraissement des nanti(e)s. Dans l’autre : des naunautes2 poujadistes ont voulu marquer qu’ils n’entendaient nullement contribuer à une plus juste redistribution des richesses – Harpagon’s not Dead, et n’a aucune intention de se laisser emmerder par des communistes.

Mais bon, ce n’est pas non plus comme si les gens du Monde allaient s’emmerder à restituer pour ce qu’elles sont ces deux réalités contraires – quand il est tellement plus facile, par le facile moyen d’un tour de passe-passe, de suggérer qu’elles témoignent d’une même sensibilité aux inégalités…


1 C’est ce que j’aime, chez toi : tu percutes un peu vite. Preuve que t’as bien fait de jeter ta télé.

2 Copyright Pierre Marcelle.

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Paru dans CQFD n°104 (octobre 2012)
Dans la rubrique Rage dedans

Par Sébastien Fontenelle
Mis en ligne le 12.11.2012