Féministes VS fachos

Grève Against the Fascism

Le 25 janvier dernier, une journée de mobilisation contre l’extrême droite était organisée par la Coordination féministe dans une vingtaine de villes. L’objectif ? Massifier le mouvement et créer des alliances en vue d’une grève féministe capable de faire plier les fachos. Reportage depuis Marseille.
Elena Vieillard

« La grève féministe, c’est combattre en même temps le capitalisme et le patriarcat !  », s’exclame une militante lors d’un événement organisé à la Dar, centre social autogéré à Marseille, par la Coordination féministe (regroupement de collectifs qui cherche à coordonner les mouvements féministes sur le territoire) le 25 janvier dernier. Le même jour, dans près d’une vingtaine de villes, des rencontres et actions étaient organisées par la Coordination contre l’extrême droite.

Alors que cette dernière monte dans les urnes et que son vocabulaire s’impose sur les plateaux télé, la Coordination féministe cherche à massifier le mouvement contre l’extrême droite, non sans se heurter à la difficulté des alliances...

Une grève contre l’extrême droite

« La Coordination féministe, c’est un collectif qui rameute d’autres collectifs pour lutter contre l’isolement local !  », raconte Val, membre de de Noustoutes35 (Ille-et-Vilaine). Depuis 2022, elle est investie dans la Coordination féministe et milite à Rennes. « Les femmes et minorités de genre sont en première ligne au foyer comme au travail, il fallait qu’on s’organise !  »

Lentement mais sûrement, le mouvement se construit. L’enjeu est de coordonner à l’échelle nationale les différents groupes féministes implantés localement comme Féministes révolutionnaires, OST (Organisation des solidarités trans) ou Noustoustes. S’il y a parfois des divergences stratégiques, comme l’attitude à adopter vis-à-vis des médias, une vingtaine de collectifs ont déjà rejoint la Coordination, dont Noustoutes 974 (Réunion), le dernier arrivé.

Elena, membre de Marseille 8 mars (M8M) est de la partie depuis le début. Elle rappelle les grandes lignes sur lesquelles s’est construit le mouvement : « radical, anticapitaliste, pro-droits des personnes trans et pour l’autodétermination des travailleur·ses du sexe, contre l’antisémitisme et l’islamophobie  ». Son pilier stratégique ? La grève féministe. « À la Coordination, c’est notre stratégie centrale : massifier et pousser à la grève féministe, c’est-à-dire la grève du secteur productif comme reproductif, travail du sexe, travail domestique... », précise Eno, aussi membre de M8M et active dans la Coordination depuis deux ans. « Cela permet de combattre l’exploitation des femmes au travail comme au foyer !  »

En se focalisant sur l’islam comme responsable des violences de genres, le fémonationalisme abandonne la critique du patriarcat en général.

En 2023, sentant l’air virer au brun, la « Coordo » décide d’orienter sa lutte pour l’année 2024 spécifiquement contre l’extrême droite. « S’il y a déjà une attaque évidente contre les femmes et minorités de genre aujourd’hui, avec l’extrême droite au pouvoir, ce sera une accélération  », pointe Elena. Une crainte confirmée ailleurs, comme aux États-Unis, où le fascisme florissant remet en cause les droits des personnes LGBTQ+ et le droit à l’avortement.

L’extrême droite, c’est aussi la célébration de la famille hétéro, qui assigne encore davantage les femmes au foyer. Or, comme l’explique Laura, membre de Noustoustes31 (Haute-Garonne) et de la Coordination, « en cherchant à assigner les femmes à un rôle reproductif, elle augmente la charge de travail non payée  ». « Cela va totalement à l’encontre de la libre disposition des corps pour laquelle nous nous battons  », ajoute Phi, également membre de Noustoustes31.

La récupération « fémonationaliste » inquiète tout autant. Inventé par la sociologue Sara R. Farris, ce concept désigne l’instrumentalisation des luttes féministes à des fins racistes et xénophobes. En se focalisant sur l’islam comme responsable des violences de genres, cette idéologie abandonne la critique du patriarcat en général. « Aujourd’hui, les mouvements fémonationalistes comme Némésis trouvent toujours plus d’écho, s’inquiète Eno. À Marseille, ils ont monté un groupe, et les fafs leur prêtent des locaux. » À Toulouse, Laura raconte la venue d’Alice Cordier, cheffe de file de Némésis récemment plébiscitée par Bruno Retailleau, le 23 janvier dernier : « On a fait un contre-rassemblement et plusieurs personnes ont tagué les locaux où devait avoir lieu la réunion. La mairie a fini par céder et annuler.  »1.

Comment s’allier ?

Aux violences de l’extrême droite contre les minorités de genre s’ajoutent bien sûr celles contre les personnes racisé·es. Mais comment combattre ces violences quand iels sont si peu présentes au sein des mouvements féministes ? À la Coordo, même constat : beaucoup de blanc·hes, peu de personnes racisées. « On ne parvient pas à faire en sorte qu’iels fassent de la politique avec nous, admet Val. C’est d’abord à nous de les rejoindre dans leur lutte, puis qu’on s’organise ensemble.  »

« Concrètement, l’extrême droite est déjà là, avec son lot d’exclusion et de déshumanisation. Moi qui porte le voile, je ne peux pas aller à la plage ou la piscine sans me faire emmerder.  »

C’est notamment ce qui a été fait pendant la réforme des retraites ou des membres de la Coordination à Rennes ont fait du lien avec des collectifs en banlieue. « En 2022, on a commencé à travailler avec Lallab, un collectif de personnes racisées. Et on s’est beaucoup mobilisé contre les violences policières après l’assassinat de Nahel  », explique Elena. Pour Phi, de Toulouse, « l’important est de devenir antiraciste en actes et pas simplement en paroles. Pour le 25 janvier, on a invité des collectifs de personnes concerné·es à venir s’exprimer.  »

À Marseille, un plateau radio est monté par Radio Galère2 autour de la lutte contre l’extrême droite, composé de collectifs antiracistes et racisé·es. « Lutter contre l’extrême droite, c’est pas un choix, c’est une question de survie, explique au micro une militante. Concrètement, elle est déjà là, avec son lot d’exclusion et de déshumanisation. Moi qui porte le voile, je ne peux pas aller à la plage ou la piscine sans me faire emmerder.  » Une militante afrofem avertit : « À trop agiter l’épouvantail du RN, on risque de décentrer la lutte contre le racisme, déjà présent partout au quotidien.  »

Sur le plateau de Radio Galère, les militant·es antiracistes adressent des critiques aux féministes et à la gauche blanche en général : « Pour moi, il y a un processus de silenciation du racisme dans ces milieux. Il faut que les personnes alliées fassent du chemin et rejoignent activement les luttes qui nous concernent.  » Iels ont aussi exprimé une certaine fatigue : « On est minoritaires et on ne maîtrise pas les codes. Du coup on va préférer militer entre nous, mais le problème c’est qu’on manque d’espaces et de moyens !  » Dans un article récent publié dans La Déferlante où elle discute des alliances entre personnes blanches et racisé·es, la militante antiraciste Fatima Ouassak imaginait « un système de cotisation […] pour se donner les moyens financiers de s’auto-organiser, notamment dans les territoires marginalisés. L’inclusivité, ça doit être d’abord de redistribuer l’argent aux féministes de classes populaires  »3. Le risque d’après elleux, c’est « de ne plus se reconnaître dans le féminisme ni dans la grève féministe...  »

Vers la grève féministe

À Marseille, la journée de rencontres se finit avec un atelier sur la grève féministe, pour comprendre, malgré tout, l’intérêt stratégique et les perspectives rassembleuses qu’elle offre. En Amérique latine, elle a porté ses fruits. En Espagne, suite à une affaire de viol en réunion, la grève féministe a mobilisé des millions de personnes en 2018 et 2019, et a permis l’inculpation des violeurs et un renforcement de la législation contre le viol4.

Si en France, elle peine à s’imposer, « depuis quelques années, les syndicats CGT, FSU et Solidaires déposent la grève féministe pour le 8 mars, et ont été rejoints depuis 2024 par la CFDT  » explique l’intervenante. « Mais comment massifier la grève féministe au-delà d’une journée événement ? » se demandent les membres de l’atelier. « D’autant qu’on n’est pas tous·tes égaux devant la grève. Les femmes, qui y ont le plus intérêt, sont d’ailleurs davantage en CDD, en contrat précaire...  » rappelle une militante. Sur le volet « reproductif », d’autres se questionnent : « Pourquoi arrêter le travail de soin alors qu’il nous tient unies ? Et si je suis lesbienne, est-ce du travail reproductif ?  » Malgré ces nombreux obstacles, Eno reste optimiste et espère que la grève féministe pourra devenir plus fréquente, « et pourquoi pas une grève féministe générale ?  »

Étienne Jallot

1 Dans un article récent, StreetPress révèle que le maire leur avait finalement trouvé une solution de repli.

2 Radio copine de CQFD. Voir « Des pépettes pour Radio Galère », CQFD, n°233 (septembre 2024).

3 « Nous sommes les oiseaux de la riposte qui s’annonce », La Déferlante, n°15 (août 2024).

4 Lire « Grèves féministes : arrêtons tout ! » La Déferlante, n°17 (février 2024).

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Cet article a été publié dans

CQFD n°238 (février 2025)

Dans ce numéro, un dossier sur la Syrie post-Bachar, avec un reportage sous les bombes turques à Kobané. Mais aussi des nouvelles de Mayotte où il faut « se nourrir, reconstruire et éviter la police ». On se penche également sur une grève féministe antifasciste et sur la face cachée des data centers. Puis on se demandera que faire de la toute nouvelle statue du général Marcel Bigeard, tortionnaire en Algérie, qui vient d’être érigée en Lorraine – un immense scandale.

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Paru dans CQFD n°238 (février 2025)
Par Étienne Jallot
Illustré par Elena Vieillard

Mis en ligne le 07.03.2025