« S’il est écrit que je dois mourir »

Poèmes gazaouis

Dans Que ma mort apporte l’espoir, la Franco-Palestienne Nada Yafi traduit des poèmes écrits par des Gazaouis avant et après les attaques du 7 octobre 2023. Ils racontent la dévastation en cours et témoignent de l’espoir qui habite les Gazaouis même au plus près de la mort.
Aldo Seignourel

Alors que le génocide court depuis plus d’un an, le recueil de poèmes Que ma mort apporte l’espoir (éd. Libertalia/Orient XXI) compile des textes de poètes gazaouis écrits avant et après le 7 octobre 2023. Loin du point de vue déshumanisant des médias occidentaux, ils nous donnent à entendre le conflit depuis les mots des Gazaouis eux-mêmes.

Des voix rares surgissent alors. Elles racontent la guerre et la mort qui rôde, mais aussi l’espoir et la vie qui persistent. Pour ces Gazaouis, la poésie est « un message qui transcende la mort », écrit Nada Yafi, qui a compilé et traduit les poèmes de cet ouvrage. Et, comme le dit mieux que quiconque l’écrivain palestinien Karim Kattan, en postface du recueil, ces « voix émergent par-delà les décombres pour dire la dévastation, mais raconter, aussi, ce qui se passe avant et après, formuler nos responsabilités politiques, dire pour quel monde l’on nous somme de lutter ». Parmi la cinquantaine de poèmes du recueil, CQFD a choisi d’en publier cinq. Ils ont tous été écrits sous le feu de l’offensive israélienne qui frappe la bande de Gaza depuis treize mois.

Étienne Jallot

« Je rêve d’une mort retentissante, laissez-moi mourir comme je l’entends »
Par Haïdar Al Ghazali

Texte écrit le 27 octobre 2023 alors que toutes les communications avaient été bloquées, sans savoir s’il parviendrait à être publié sur Internet. Diffusé sur Facebook dans la série des vidéoclips « This is Gaza, literary texts », déclamé en arabe par Hanane El Haj Ali.

« Là, maintenant, personne ne pourra me pleurer, personne ne pourra composer d’éloge funèbre, mon corps ne sera sans doute même pas retrouvé, et personne ne pourra donc m’enterrer, l’air libre sera ma tombe et le témoin de cette tombe un simple nuage, qui fera de l’ombre aux enfants, et ils grandiront.

Dieu merci, ils n’ont pas pu inclure l’air dans le blocus, ce qui me laisse encore la possibilité d’écrire cette folie, certes je ne suis pas libre dans cette absence, je ne suis pas libre puisqu’à tout moment exposé à une mort silencieuse, dont personne ne saura rien, je ne suis pas libre si je ne peux choisir ma mort, et pourtant je reste libre en mourant, alors allez-y détruisez toujours plus, faites exploser encore davantage, labourez donc la terre avec la mort, toute la terre, notre terre est une immense flûte de roseau, plus on y creuse de trous et plus elle est capable d’exhaler de nouvelles mélodies, de ces maqâms de l’impossible retour des ruines.

Il est maintenant vingt heures quinze, je vais me coucher, je vais préparer mon corps pour le missile impromptu qui l’explosera. Je vais préparer mes souvenirs, préparer mes rêves à devenir cette petite ligne de brève, ou ce simple numéro dans un dossier. Pourvu que le missile vienne dans mon sommeil, afin que je ne ressente aucune douleur ; voilà donc nos ultimes souhaits dans la guerre, une pitoyable conclusion de nos rêves grandioses.

Je quitte la frayeur de la famille vers mon matelas en me posant la question suivante : qui donc disait déjà au Gazaoui que le dormeur ne souffrait pas ? Et je me suis endormi. »

« Une autre cité »
Par Hiba Abu Nada

Post Facebook du 16 octobre 2023, trois jours avant que Hiba Abu Nada ne périsse sous les bombes.

« Là-Haut, en ce moment

Nous bâtissons une autre cité.

Avec des médecins sans blessés et sans saignements

Des enseignants sans classes submergées et sans cris sur les enfants

Des familles sans souffrance et sans peine

Des journalistes qui décrivent l’Éden

Des poètes qui écrivent les amours éternelles

Ils sont tous de Gaza, tous.

Au paradis, il y a une Gaza nouvelle, sans blocus,

Qui prend forme en ce moment même »

« Conjonction de coordination »
Par Maryam Qosh, poétesse

Texte écrit le 9 novembre, sous les bombardements. Diffusé sur Facebook dans la série de vidéoclips « This is Gaza, literary texts ».

« Nous entamons notre journée en inspectant les êtres qui nous sont chers

Qui a pu échapper à la guerre ?

Qui en est à jamais délivré ?

Nous vérifions la liste de ceux qui sont montés au ciel

Tous les jours les portes du ciel s’ouvrent plus grand pour accueillir une foule plus nombreuse de

proches qui font le voyage

Tous les jours la liste s’allonge

Et le ciel s’ouvre plus grand

Et nous autres sommes encore là, toujours là… en suspens »

« Je suis tellement forte »
Par Amira Hamdane, écrivaine et autrice de nouvelles

Texte écrit le 8 octobre 2023, revu le 23 novembre. Diffusé sur Facebook dans la série des vidéoclips « This is Gaza, literary texts ».

« Je suis tellement forte

C’est ce que j’ai découvert,

à mesure que le péril s’approche et que s’élève autour de moi la clameur de la mort

Et si j’étais sa prochaine victime ?

Cela ne changerait rien à la réalité de mon âme,

à part que je me transporterais là où j’ai toujours rêvé d’être

Un ciel ouvert, un espace à la mesure du trop-plein d’amour et de chants qui m’habite

Je sillonnerais le monde avec la légèreté d’un moineau la rapidité d’un faucon variant mon altitude en montée et descente avec la voltige de la joie et cette sensation nouvelle de liberté absolue

Je me libérerais de toutes les spéculations rationnelles et terrestres qui m’ont tant épuisée

Je danserais comme une mouette éperdue dans la mer de mon imagination déployée à l’infini

Je serais un air de musique qui monte des profondeurs abyssales de l’univers vers son Éden altier »

« Être mère à Gaza »,
Par Neeamat Hassan, poétesse

Poème écrit le 26 octobre 2023, sous les bombardements. Diffusé sur Facebook dans la série des vidéoclips « This is Gaza, literary texts ».

« Être mère à Gaza

C’est ne pas dormir

C’est tendre l’oreille

Dans le noir

Tâter ses moindres franges

Trier un à un tous les sons

En choisir un, de quoi créer

Un conte à sa mesure

En faire une berceuse

Et quand tout le monde dort

Se dresser comme un bouclier

Face à la mort

Être mère à Gaza

C’est ne pas pleurer

C’est ramasser la peur

La colère

Et les prières

À plein poumons

Attendre que les avions

Finissent de rugir

Pour libérer le soupir

Être mère à Gaza

C’est ne pas pouvoir être comme les autres mères

C’est faire du pain frais grâce au sel de ses yeux

Et voir ses tout-petits mangés par la patrie »

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Cet article a été publié dans

CQFD n°235 (novembre 2024)

Ce mois-ci, on s’entretient avec une militante impliquée dans la révolte contre la vie chère en Martinique. Deux de nos reporters sillonnent le mur frontière qui sépare les États-Unis du Mexique, sur fond de campagne présidentielle Trump VS Harris. On vous parle de l’austérité qui vient, des patrons qui votent RN, mais aussi de la lutte contre la LGV dans le Sud-Ouest et des sardinières de Douarnenez cent ans après leur grève mythique…

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