¡ Futbolín !

MÊME UN THÈME aussi crucial que l’origine du baby-foot est sujet à controverse. Nous choisirons ici de vous parler de sa version ibérique à travers une brève évocation d’un inventeur revendiqué, poète et éditeur galicien, Alejandro Finisterre, dont l’existence fut une aventure rocambolesque autour du jeu de football de table.

Il a 17 ans en 1936 lorsqu’il quitte son Finisterre natal, La Coroña précisément, pour se rendre à Madrid et travailler dans une imprimerie. Il y fait connaissance du poète républicain León Felipe et ils éditent ensemble un périodique libertaire dédié à la jeunesse qu’ils vendent dans les rues. À la suite d’un bombardement par la Légion Condor en novembre 1936, il est sérieusement blessé aux jambes. Transféré dans l’hôpital de Montserrat en Catalogne, il rencontre d’autres jeunes dans le même état qui ne peuvent donc plus s’adonner à leur sport favori : le football. C’est alors que lui vient l’idée de s’inspirer du tennis de table et de dessiner les plans d’un futbolín, un football de table. Il confie les soins de la fabrication du plateau, des santons et de l’articulation avec barres simples du premier baby-foot espagnol à son ami charpentier basque, Francisco Javier Altuna. Un peu plus tard à Barcelone, Alejandro fait découvrir son invention à un militant de la CNT/FAI, Joan Busquets, fabricant de limonades, qui, séduit par le jeu, insiste pour que le brevet soit déposé rapidement. Chose faite en janvier 1937 à Barcelone et, entre écritures de poèmes et de ballets musicaux, Alejandro tente de faire fabriquer son futbolín par les usines de jouets. En vain, car la priorité est à l’effort de guerre. En 1939, comme bon nombre de républicains espagnols, il doit s’exiler en France. Il traverse les Pyrénées en 10 jours, au bout desquels il constate la destruction de ses écrits par les pluies battantes et la perte irrémédiable du brevet de son invention dans une bouillie de papier au fond de son sac à dos.

Parties torrides avec le Che ?

Rebondissement à Paris en 1948 en écrivant aux Archives de Salamanque, il découvre qu’un compañero de l’hôpital, Magí Muntaner, membre du POUM, avait lui-même cherché à breveter l’invention au nom d’Alejandro Finisterre à Perpinyà. Mais la patente qu’il a envoyée par courrier est perdue aussi. Alejandro finit par obtenir gain de cause auprès de l’entreprise qui industrialise le baby-foot. Il reçoit alors suffisamment d’argent pour immigrer en Équateur où il fonde une revue internationale de littérature (Équateur 0o, 0’, 0”). Son histoire de baby-foot ne s’arrête pas là, loin s’en faut. À Quito, il présente sa revue ainsi que sa précieuse et ludique invention à l’ambassadeur du Guatemala, ce dernier l’invite à s’installer dans son pays afin de fabriquer et de promouvoir le futbolín à l’échelle nationale. Alejandro n’hésite pas. En 1952, il y vit aisément après la commercialisation de son baby-foot et dit y faire la rencontre du jeune Che qui consulte alors quotidiennement le fonds du Centre républicain espagnol du Guatemala. Des parties torrides de baby s’enchaînent entre les deux hommes ainsi que des échanges théoriques sur le style de jeu. Cette quiétude est bientôt bouleversée par le coup d’État militaire du général Castillo Armas, appuyé par la CIA, en 1954. Alejandro est livré à la police secrète espagnole qui le fait monter de force dans un avion en direction de l’Espagne. Dans les toilettes de l’appareil, il enveloppe un savon dans du papier alu et menace de le faire exploser si on ne le fait pas atterrir au Panama. Goal ! Son acte de piraterie réussit grâce au soutien des passagers. Il vivra ensuite au Mexique en s’occupant d’arts graphiques et d’édition. À la mort de Franco, il rejoint l’Espagne et constate que les fabricants catalans ont développé juteusement son futbolín (plus de 150 000 exemplaires) sur lequel, jusqu’à sa mort en 2007, à Zamora dans le Finisterre, il ne touchera pas une peseta. En 2004, lors d’un entretien, il soulignait : « Bien que mon futbolín ne permette pas autant d’effets avec les balles, il ne favorise pas l’autisme comme ces jeux vidéo actuels, mais plutôt l’amitié, la camaraderie et la coordination des mouvements entre la main droite et la main gauche. »

Sources : El Periódico, 28.05.2004

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Paru dans CQFD n°81 (septembre 2010)
Dans la rubrique Les vieux dossiers

Par Bruno Dante
Mis en ligne le 18.10.2010