Simple et efficace

En toute logistique, bloquer la courroie du capitalisme

Le 28 mars, une centaine de personnes ont bloqué l’une des plus grandes zones logistiques d’Europe, située dans les Bouches-du-Rhône. Stopper les flux de marchandises, même temporairement : une stratégie devenue incontournable pour le mouvement social contre la réforme des retraites.
Par Caroline Sury

Dans la sombre nuit de ce 28 mars 2023, un peu avant trois heures du matin, une centaine de personnes se donnent rendez-vous sur un parking de la zone logistique de Saint-Martin-de-Crau, dans les Bouches-du-Rhône. Elles ont répondu à l’appel d’un collectif interprofessionnel en soutien aux syndiqué·es CGT des lieux. Pour faire chier Macron et son monde, l’objectif stratégique est qu’aucun camion ne rentre et ne sorte pendant 7 heures, soit jusqu’à 10 heures du matin.

Les participant·es, venu·es de tout le département et même d’un peu plus loin, se comptent : 120, un nombre bien suffisant pour bloquer les cinq accès de la gigantissime zone à l’aide de barricades de palettes et de pneus. Chose curieuse, la préfecture de police, pourtant habituée à compter dix à quinze fois moins de manifestant·es que les syndicats dans les manifs marseillaises, dénombre cette fois-ci plus de monde : « 200 au plus fort ».

Un nœud logistique vulnérable

Pas de flics pour dégager les blocages ce matin-là. Seul un équipage de gendarmerie fait des rondes d’observation en voiture et deux policiers municipaux rigolent à la vanne de deux routiers à l’arrêt. « Vous avez oublié les merguez », leur lancent ceux-ci à la cantonade. L’opération est un succès total. Des centaines de camions sont immobilisés à l’intérieur de la zone et sur des kilomètres de routes rapidement saturées à l’extérieur. De quoi ruiner pour la journée les flux dont dépendent plusieurs grandes entreprises. Amazon, Decathlon, Castorama, Maison du Monde, le grossiste de la restauration Transgourmet… font transiter leurs produits dans ces immenses hangars-usines aux formes rectangulaires sans âme.

« Quelques dizaines de grévistes bien placés sur le site bloqueront sans difficulté… une vingtaine de hubs à la fois, voire plus »

La zone de Saint-Martin-de-Crau est l’une des plus grandes d’Europe. Des dizaines de giga-­entrepôts ont colonisé la plaine, entourés de moutons, de pêchers et d’éoliennes au carrefour de deux voies rapides. De quoi foutre en l’air 500 hectares d’une des dernières steppes arides d’Europe, la Crau. Les écolos du coin ont rebaptisé la commune « Saint-Parpaing-de-Crau ». L’endroit occupe une place essentielle dans les rouages du transport de marchandises sur les axes continentaux Nord-Sud, le tout en lien avec le grand port maritime de Marseille. Une « sorte de nœud logistique vers lequel convergent des millions de produits avant d’alimenter la demande des consommateurs », dixit le professeur en sciences de gestion à Aix-Marseille Université, Gilles Paché, dans un article récemment paru dans The Conversation1. Un hub vulnérable au blocage, analyse-t-il : « Quelques dizaines de grévistes bien placés sur le site bloqueront sans difficulté… une vingtaine de hubs d’entreprises à la fois, voire plus », faisant peser un « risque d’asphyxie de la chaîne logistique ».

Depuis l’usage du 49.3 par le gouvernement le 16 mars dernier, d’autres blocages de ce type ont été pratiqués, non loin, sur la zone Clésud à Miramas, mais aussi à Nice, en Alsace ou encore en Bretagne. Bloqueurs, bloqueuses de tous les pays, unissez-vous !

Pierre Isnard‑Dupuy (Collectif Presse‑Papiers)
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CQFD n°219 (avril 2023)

Depuis le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites, la France est en ébullition : blocages, grèves, manifs monstres et poubelles en feu ! Impossible de ne pas consacrer une très large part de notre numéro d’avril à cette révolte printanière. De Marseille à Dieppe, de Saint-Martin-de-Crau à Sainte-Soline, de la jeunesse en mouvement à la répression en roue libre, des travailleuses du sexe en lutte à l’histoire du sabotage... Reportages, analyses, entretiens. De quoi alimenter, on l’espère, la suite des mobilisations !
On vous emmène tout de même un peu hors de nos frontières (ou presque) : En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, où la France poursuit sa démolition du processus de décolonisation, en Turquie où la solidarité populaire a pallié aux manques de l’État après les séismes début février et en Tunisie dans un musée particulier.

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