Une histoire de mal-logement à Marseille
Chaïma, délogée puis menacée de mort
Régulièrement, Maia, 7 ans, se confie à sa mère : « Quand je pars à l’école, j’ai peur que tu ne reviennes pas vivante à la maison. » À l’école, la petite n’y va plus tous les jours, depuis que sa maman et le reste de la famille font l’objet de menaces de mort. Ceux qui s’en prennent à Chaïma Belkhiria, 41 ans, veulent la contraindre à ne plus dénoncer sa situation de victime du mal-logement.
Chaïma et sa famille font partie des près de 4 000 Marseillais évacués en catastrophe de leur appartement, dans la foulée de l’effondrement de deux immeubles de la rue d’Aubagne, ayant causé huit morts le 5 novembre 2018. Le 9 décembre 2018, Chaïma faisait la cuisine dans son appartement du 289 de l’avenue de la Capelette (10e arrondissement), quand le plafond lui est tombé dessus.
Comme trop de Marseillais, Chaïma, son oncle de 75 ans, son fils de 17 ans et Maia ont d’abord été hébergés à l’hôtel, avant d’obtenir un appartement provisoire. Au printemps, les services de la mairie ont levé l’arrêté de péril de l’immeuble de l’avenue de la Capelette, alors que les indispensables travaux de réhabilitation n’avaient pas été réalisés. Le 1er avril, refusant de réintégrer leurs logements, Chaïma et une de ses voisines débutent une grève de la faim. Chaïma tiendra 68 jours, à l’issue desquels, considérablement affaiblie, elle aura perdu une vingtaine de kilos.
Parce qu’elle dénonce sa situation dans la presse, des menaces de mort et de viol récurrentes arrivent sur sa messagerie vocale. Par exemple le 6 avril : « On viendra te brûler, toi et tes enfants, la sale Arabe. Si on perd notre logement, c’est à cause de toi, hein, sale pute ! » À d’autres occasions, on l’accuse d’avoir été payée par des journalistes et on lui ordonne de donner l’argent ainsi gagné au président du syndic de son immeuble. Dans d’autres messages, on lui propose 15 000 € en échange de son silence.
Le 26 avril, alors qu’elle se rend au 289 de l’avenue de la Capelette avec des journalistes, son avocate et la députée LREM Alexandra Louis venue s’enquérir de sa situation, Chaïma est violemment agressée par une voisine. Trois jours plus tard, la même voisine, Rachida K., laisse Chaïma pour morte sur le trottoir. Le parquet ne retiendra que la première agression, qu’il défère devant le tribunal de police, comme s’il s’agissait d’une vulgaire querelle de voisinage – le tribunal de police s’occupe des petites affaires relevant de la contravention ; les délits, plus graves, sont jugés par le tribunal correctionnel. Les séquelles physiques dont souffre Chaïma, touchée à l’œil et à la mâchoire, sont pourtant irrémédiables.
Les mois suivants, d’autres menaces de Madame K. et de ses proches se produisent à l’encontre de la famille Belkhiria. À chaque fois, Chaïma porte plainte. Le 14 octobre, l’agresseuse est condamnée pour son premier méfait à 1 000 € d’amende avec sursis et 800 € de dommage moral. À la sortie de l’audience, dans le couloir, « Madame K. et sa fille ont hurlé en disant qu’elles allaient brûler Chaïma et sa famille », témoigne Pierre Legendarme, psychanalyste et président de l’association Santé Sans Frontière, qui soutient la délogée.
Le 1er novembre, une nouvelle menace téléphonique, étrange : « Si tu refuses les 15 000 €, on va envoyer ton fils en Syrie, on va venir te violer et te tuer », dit une voix d’homme. Lorsque l’on rappelle le numéro, c’est le standard de la ville de Marseille qui répond. Est-ce le fait de quelqu’un qui a accès à une ligne téléphonique municipale ? un piratage informatique ? Pour l’heure, le mystère reste entier.
Une nouvelle fois, Chaïma part porter plainte au commissariat du 10e arrondissement, cette fois-ci accompagnée de Pierre Legendarme. Alors qu’elle retourne au guichet d’accueil pour demander quand elle sera reçue, un agent surgit et lui intime de partir. Il lui fait une clé de bras en lui donnant des coups aux tibias. « Il me prend par le bras avec une grosse haine », se souvient-elle. Pierre Legendarme crie qu’ils porteront plainte pour violence. Le bruit de la pagaille fait descendre le commissaire, qui décide de recevoir Chaïma dans son bureau afin qu’elle dépose sa plainte. Selon Me Éric Méry, l’avocat de Chaïma, Rachida K. aurait finalement été placée sous contrôle judiciaire en novembre.
De nombreuses questions restent sans réponse. Comment expliquer cette longue apathie policière et judiciaire ? Qu’est-ce qui motive la violence de Rachida K. ? une peur sincère de perdre son logement ? une personne tierce ? Qui sont les auteurs des menaces ? Des marchands de sommeil ? « Moi tout ce que je demande, c’est d’avoir mes droits, d’avoir la paix », dit Chaïma, qui n’oublie pas le sort des milliers de Marseillais délogés. Et de tacler plus généralement les responsables politiques de la crise du logement à Marseille : « Pour eux, on n’est pas des humains. De Macron jusqu’à la mairie : ils sont en train de nous enterrer vivants ! »
Cet article a été publié dans
CQFD n°182 (décembre 2019)
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Paru dans CQFD n°182 (décembre 2019)
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Mis en ligne le 11.12.2019
Dans CQFD n°182 (décembre 2019)
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