Dossier

En pleine crise sanitaire, ne pas oublier les migrant·es

Une épidémie de xénophobie et d’indifférence frappe les exilé·es depuis longtemps. Et voici maintenant le Covid-19… Entre accueil et rejet, voyage entre Syrie, Turquie, Grèce, Alsace et Auvergne.

Pour les migrants, les déplacés et les réfugiés, le confinement face au Covid-19 est impossible. Ou plus précisément, il est imposé la plupart du temps dans des conditions indignes, voire effroyables. De véritables bombes sanitaires à retardement, propices à une contamination massive : concentration des campements de fortune sans hygiène aux frontières syriennes et gréco-turques, surpopulation du camp de Mória sur l’île de Lesbos (lire p. IV, « Lesbos : une traînée de poudre qui n’en finit pas »), promiscuité dans les centres de rétention administrative et les squats de l’Hexagone (p. VI, « Squat Bugatti : chronique d’un désastre sanitaire annoncé »), etc.

Confrontés à notre propre impuissance, au cynisme et à l’abandon des États, nous ne devons pas nous résigner à abandonner les exilés. Car d’autres virus les menacent depuis un moment déjà : ceux de l’indifférence et de la xénophobie.

Actuellement, l’urgence sanitaire est aux portes de la Grèce. Le 24 mars, une kyrielle d’organisations humanitaires, empêchées de venir en aide aux migrants par le verrouillage du pays, pressait le gouvernement hellénique de « réduire l’encombrement des centres d’accueil des îles pour les demandeurs d’asile et les migrants afin d’éviter une crise de santé publique ». Autre exigence : l’adoption de dispositions spéciales « pour garantir un accès universel et gratuit aux soins de santé dans le système public pour les demandeurs d’asile, les réfugiés et les migrants sans discrimination ».

À l’heure où nous écrivons, rares encore sont les pays à avoir réagi à l’urgence et réalisé que le coronavirus n’a pas besoin de passeport. Éclaircie par temps couvert : le Portugal a annoncé le 28 mars la « régularisation temporaire des immigrés » en attente de titre de séjour afin de leur permettre de bénéficier des mesures prises pour l’ensemble des citoyens. [Mais cette mesure exceptionnelle ne durera que jusqu’à juillet et ne sont concernées que les personnes ayant fait une demande de régularisation avant le 18 mars - ajout de la rédaction du 7 avril].

Fin février, un nouvel épisode de « crise migratoire » s’était déclenché par la décision du président turc d’ouvrir sa frontière avec la Grèce. À l’échelle mondiale, la Turquie a eu la politique d’accueil la plus massive depuis 2011, malgré la duplicité de la politique d’Erdogan, qui s’est toujours servi de l’arme migratoire comme d’un moyen de pression diplomatique. Or, confronté aux critiques des États européens contre son offensive militaire dans la province d’Idlib (Syrie) et à un climat intérieur de forte pression anti-migrants, Erdogan a menacé d’ouvrir le « robinet migratoire ». Le but ? Renégocier ses engagements de 2016 avec l’Union européenne et la presser de verser la totalité des 6 milliards d’euros promis à la Turquie pour qu’elle contienne les migrants sur son sol.

Des dizaines de milliers de réfugiés, acheminés à la frontière terrestre gréco-turque dans des cars affrétés par l’État, se sont retrouvés pris en étau, confrontés à la brutalité des garde-frontières grecs et d’hommes non identifiés au visage couvert, qui leur refusaient l’accès à coups de gaz lacrymogène et d’humiliations, voire de tirs à balles réelles. Même inhumanité en mer Égée, où les gardes-côtes helléniques ont repoussé des bateaux d’exilés par des méthodes des plus abjectes (p. III, « Le bateau a un trou mais les gardes-côtes ne nous aident pas »).

Si la Grèce agit ainsi, c’est parce que tout le continent a opté pour des logiques de tri, d’enfermement et d’expulsion. Peu à peu, le système d’asile européen vole en éclat : Athènes a complètement suspendu le sien le 1er mars ; en France, la fermeture de nombreux guichets administratifs – pour cause d’épidémie – est en train d’aboutir à un résultat équivalent.

Les motivations qui ont poussé tant de personnes sur les routes de l’exil n’en restent pas moins légitimes : contrairement à ce que l’extrême droite prétend parfois, les réfugiés syriens risquent toujours leur vie s’ils tentent de rentrer au pays (lire pp. I&II, « Réfugiés syriens : non, il n’est pas encore temps de rentrer »).

Heureusement, aux quatre coins de l’Europe et du monde, du petit village auvergnat de Pessat-Villeneuve (p. V, « Le “maire à migrants” qui hérisse les fachos ») à l’île de Lesbos, des mains continuent de se tendre au-dessus des barbelés. Leurs initiatives sont souvent isolées, parfois dérisoires au regard de la dramatique situation. Mais elles ont leurs effets concrets.

Elles permettent aussi de se dire, faute de mieux, que l’humanité n’a pas encore totalement déserté nos sociétés repliées sur leur nombril. ■

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