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Écriture féminine ?


paru dans CQFD n°111 (Mai 2013), rubrique , par Casse-noisette, illustré par
mis en ligne le 28/06/2013 - commentaires

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais chaque fois qu’une écrivaine devient un peu connue en littérature, les journalistes la ramènent sans cesse à ce qu’il y a de « féminin » dans son écriture. L’« écriture féminine » est censée être plus psychologique, plus intime, plus fine, ni vulgaire, ni épique. Comme souvent le préjugé sexiste consiste à contenir les femmes dans un rôle prétendument naturel, donc à leur dicter ce qu’elles ont le droit de faire ou pas. Les poncifs sexistes sont toujours une assignation.

Par Caroline Sury {PNG}

Une des nombreuses écrivaines à avoir été soumise à de telles questions-assignations a été Annie Ernaux, surtout après Passion simple. Dans ce livre, comme dans Se perdre [1], les critiques lui ont reproché de ne pas décrire la passion amoureuse de manière romanesque et euphémisée, mais d’employer des mots concrets, bas, réels, qui sont censés ne pas sortir de la bouche fleurie des femmes, en somme d’avoir écrit un antiroman sentimental.

Et il est vrai qu’on ne demande pas à Michel Houellebecq – comme, dans la cour des grands, on n’a pas demandé à Hemingway – ce qu’il y avait de tellement « masculin » dans leur vision du monde, comment le fait d’être un dominant dans la société change leur manière d’écrire. Annie Ernaux le rappelle dans un livre d’entretiens publié en 2007, L’écriture comme un couteau (Stock) : «  Nombre de romans masculins véhiculent […] une tranquille affirmation du pouvoir et de la liberté des hommes, de leur aptitude à dire, et eux seuls, l’universel. »

Évidemment, les expériences décrites par les femmes dans leurs livres sont différentes de celles des hommes. Mais au lieu de les traiter d’expérience humaine, on va les traiter d’expérience purement féminine, donc périphérique à ce que serait l’idée éthérée de l’universel. Pourtant, « les hommes devront faire cet effort d’admettre les représentations d’une littérature faite par les femmes comme aussi “universelles” que les leurs », conclut Annie Ernaux.

Ces assignations journalistiques partent parfois d’une bonne intention : on veut savoir ce que l’expérience de dominée apporte de différent dans la littérature. Mais l’enfer sexiste, ou raciste, est pavé de bonnes intentions : on ramène sans cesse l’écrivaine Tony Morrison à sa condition de Noire, escamotant ainsi la question véritable, beaucoup plus sérieuse, de son art.

C’est pour éviter d’être ramenée toujours à des interprétations de ce type que Nathalie Sarraute avait dit « la condition féminine, c’est la dernière chose à laquelle je pense en écrivant ». Et ce n’est pas une mauvaise approche. Puisque de toute manière ce que vivent les femmes est en partie liée à leur condition de dominée : on n’a pas besoin d’y penser pour que ce soit présent. Magie du social.


Notes


[1Passion simple, Gallimard, 1991 ; Se perdre, Gallimard, 2001.



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Par Casse-noisette


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