La « morale » des « socialistes »
Mon petit neveu Romain (un de ces pénibles gamins de trois ans, tu sais, qui sont du genre qui vient soudain s’enquérir auprès de toi de comment qu’on fait les bébés alors que t’es peinardement vautré devant un épisode particulièrement saisissant de Mad Men et que t’as rien demandé du tout) déboule dans ton salon et tout de go te fait cette question : mais en vrai, tonton Lucien, c’est quoi-ce, d’être de gauche ? (Dis, tonton Lucien ?)
Ce qu’oyant, tu lui réponds (à la fin de mettre un terme rapide à ce qui d’après toi ne doit surtout pas devenir un débat de cinq plombes, vu que là, justement, t’as piscine) qu’être de gauche, c’est, par exemple, considérer que la défense des salarié(e)s devrait passer devant celle des patron(ne)s – pour la simple mais bonne raison que les seconds auraient comme qui dirait tendance à maltraiter les premiers, alors que l’inverse est tout de suite moins vrai.
Ce qu’oyant, le tout petit mec, décidément brise-mollets, remet cent balles dans le bastringue et te demande si, du coup, on pourrait dire que les socialistes du gouvernement qu’on nous a mis l’an dernier seraient, disons, de gauche ?
Nenni, rétorques-tu alors – et d’abord, je te prie de bien vouloir noter que « « socialistes » » s’écrit dans ce cas précis avec plein de guillemets. C’est même tout le contraire, si nous retenons le critère que nous venons d’envisager. Car en effet, ces affreux personnages, inversant sa priorité, se sont très clairement donné pour mission de protéger (et servir) les patron(ne)s, plutôt que les salarié(e)s : cela se vérifie presque tous les jours.
Ainsi, tu auras noté que sitôt que des nœuds les ont eu mis aux affaires (comme on dit dans la presse comme il faut), l’une de leurs premières initiatives fut de (libéralement) distribuer 20 milliards d’euros dans les tirelires du patronat licencieur. Après quoi, constatant que des syndicalistes poussés à bout par les vilenies de leurs employeurs avaient quelques fois exprimé un peu roidement – mais avec infiniment plus de retenue, il va de soi, que leurs bosses n’en mettent dans leurs ultraviolences antisociales – leur exaspération, les « socialistes » ont catégoriquement refusé d’amnistier les (très) menues déprédations auxquels ces désespérés se sont laissés aller – aaaah, p*****, que ça fait du bien.
Et cela dessine, vois-tu, une philosophie de la vie : la même, en vérité, que les « socialistes » veulent désormais t’inculquer dès ton plus jeune âge – car ils ont parfaitement retenu la leçon que la propagande la plus efficace (peu leur chaut qu’elle soit aussi la plus effroyable) est celle qui dès le berceau dresse, plutôt que de futur(e)s citoyen(ne)s intellectuellement équipés pour la lutte contre l’iniquité, de futurs esclaves convenablement dressés à faire où leurs maîtres le leur demanderont.
C’est pourquoi, plutôt que de t’enseigner tôt par des leçons de salariat les moyens de te prémunir contre les saloperies qu’un(e) patron(ne) t’infligera immanquablement quand tu auras un métier : ils planifient de te dispenser dès la sixième des cours d’« entrepreneuriat ».
C’est ce qu’ils appellent, je crois, la « morale laïque ».
Et, oui, maintenant que tu le dis : ça donne vraiment envie de gerber.
Cet article a été publié dans
CQFD n°111 (Mai 2013)
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Paru dans CQFD n°111 (Mai 2013)
Dans la rubrique Rage dedans
Par
Illustré par Pirikk
Mis en ligne le 03.07.2013
Dans CQFD n°111 (Mai 2013)
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