École : La culture du confinement
« Madame, si on éteint les lumières, les méchants vont savoir qu’on est là ! » Prononcée par un gamin de neuf ans lors d’un exercice de confinement dans une école primaire des Bouches-du-Rhône, cette phrase est rapportée par l’institutrice. « Les établissements scolaires peuvent être confrontés à des accidents majeurs, rappelle la circulaire n°2015-205 du 25 novembre 2015 émanant des ministères de l’Éducation, de l’Intérieur et de l’Écologie, qu’ils soient d’origine naturelle (tempête, inondation, submersion marine, séisme, mouvement de terrain…), technologique (nuage toxique, explosion, radioactivité…), ou à des situations d’urgence particulières (intrusion de personnes étrangères, attentats…) susceptibles de causer de graves dommages aux personnes et aux biens. » Les établissements scolaires se doivent de posséder un plan de prévention et de mise en sûreté (PPMS), mais « la prolongation de l’état d’urgence et le maintien du plan Vigipirate au niveau “alerte attentat” en Île-de-France et vigilance renforcée sur le reste du territoire imposent des mesures particulières de vigilance », selon la ministre Najat Vallaud-Belkacem.
« De quel intrus allons-nous parler aux élèves ? », s’est interrogée Delphine, prof de collège à Marseille. « Le chef d’établissement, plutôt cool en général, m’a répondu : “Eh bien vous n’avez qu’à leur dire que c’est un animal sauvage, de toute façon c’est pour de faux et, après tout, ça pourrait arriver qu’un individu armé parvienne à entrer dans l’établissement. On doit le faire, un point c’est tout.” » Moins cool, le site du collège Saint-Exupéry, à Andrésy, académie de Versailles, dévoile « un double objectif » bien plus politique : « Un objectif opérationnel [et] un objectif “culturel” et éducatif : faire entrer le risque majeur dans la culture du futur citoyen. Notre pays dans ce domaine est très en retard ! » « On l’a fait, relate Delphine. Les élèves étaient prévenus qu’il allait y avoir un exercice un peu spécial. Le mot d’ordre : se faire le plus petit et le plus silencieux possible. Quand l’alarme se déclenche, je suis avec des cinquièmes. J’éteins les lumières, je bloque la porte avec mon bureau, je fais éteindre les portables. Nous sommes à terre, sous les tables. Les minots font “Chuuuuut !”, mais au bout de quelques minutes, j’en vois certains ramper pour s’éloigner de la porte : “Avec une kalach’, il peut nous tuer à travers !” Un plaisantin suggère que l’intrus qui nous veut du mal, c’est le principal, transformé en poulpe géant pendant la nuit… Fou rire sous les tables. Le jeu devait initialement durer vingt minutes, on a tenu dix. »
« Effectuer des exercices de mises en sûreté et rédiger des PPMS dans l’urgence n’est ni possible ni souhaitable, s’est ému le syndicat Sud-Éducation. […] De plus, se pose la question du contenu du discours l’accompagnant. » Aux prises avec une régressive pédagogie de la peur, les profs pourront-ils échapper à un rôle de propagandistes ? D’où vient la guerre ? Qui est l’ennemi ? Lors du debriefing, Delphine a demandé des nouvelles du poulpe. « En vrai, madame, le méchant, c’est pas le poulpe, c’est un “djédaïste”. »
Cet article a été publié dans
CQFD n°140 (février 2016)
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Paru dans CQFD n°140 (février 2016)
Dans la rubrique Billets
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Illustré par Rémi
Mis en ligne le 28.04.2018
Dans CQFD n°140 (février 2016)
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