Grève à l’hôpital

Douze heures chrono

Dans les hôpitaux publics, « regroupement » et « restructuration » sont les maîtres mots de « nécessaires » éconocroques. Et permettent d’inoculer le virus de la rentabilité au service public de la santé tout en soignant, en loucedé, le secteur privé. Le petit personnel des urgences en est malade.

ROSELYNE BACHELOT, qui est à la santé ce que l’ongle incarné est au footing, assurait le 11 mai 2009 sur France Inter que, non non non, « l’hôpital n’est pas touché par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux ». Une précision bienvenue alors que la Lagarde de l’Économie organisait des coupes claires dans ces feignasses de la fonction publique. Et pourtant… En janvier 2010 tombait le plan de restructuration de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), prévoyant le regroupement de certains établissements ainsi que, comme pas promis du tout, la suppression de 3000 à 4000 postes. Quand on est contraint d’économiser 100 millions d’euros par an, rogner sur la bande Velpeau ne suffit pas toujours.Le projet,devant la bronca des salariés et syndicats — et la proximité des élections régionales —, a été suspendu…

Du côté de l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM), c’est planquée sous un brancard que progresse la restructuration avec son « plan de retour à l’équilibre » visant à réduire le déficit. Aux urgences de l’hôpital de la Conception, dans le 5e arrondissement, infirmiers, aides-soignants et brancardiers sont en grève depuis le 11 mars dernier. « Je suis ici depuis vingt et un ans, j’ai travaillé de jour comme de nuit, confie

par Aurel

Martine, une infirmière en grève. Eh bien je peux vous dire qu’aux urgences, douze heures, c’est trop, cela devient dangereux pour le patient,la qualité des soins risque d’en pâtir. » Ce n’est pas l’avis de la direction qui prévoit de modifier leurs horaires de travail, transformant les mornes journées de sept heures de taf en celles, plus guillerettes, de douze heures d’affilée. Une évolution due, selon les grévistes, à la fermeture en juin prochain des urgences de l’hôpital Sainte-Marguerite, dans le 9e arrondissement. « Ils veulent intégrer ici les patients de Sainte-Marguerite mais sans effectifs supplémentaires, alors que le personnel arrive déjà à essoufflement », explique Angeline, infirmière de nuit syndiquée à la CGT.

Selon la direction, 25 agents devrait être transférés à la Conception, mais « ce n’est pas sûr du tout, et on ne sait pas à quel poste ». Or, avec ses 150 entrées en moyenne par vingt-quatre heures, ces urgences marnent déjà à flux tendu. « Souvent, on manque de brancards, les pompiers ne peuvent pas débarquer les patients. Ils veulent me les mettre sur une chaise ! Et je fais quoi,moi,s’ils tombent,s’ils convulsent ? », peste Angeline. Un jeune infirmier de nuit, qui « ne [va] pas tarder à [se] tirer de cet hosto », explique qu’à l’unité d’hospitalisation de courte durée [UHCD], les sonnettes ne fonctionnent pas : « Et si un malade fait un arrêt respi ? Moi, je leur dis de prendre une cuillère et de taper sur les barreaux du lit pour nous appeler… »

Le 1er avril, les grévistes organisaient un vote à bulletins secrets – « pour » ou « contre » les douze heures – auprès du personnel. Mais certains d’entre eux n’ont pu y prendre part puisqu’ils suivaient une formation sur… « l’agressivité aux urgences » ! « Il y a effectivement de la violence à notre encontre, les temps d’attente sont longs, les gens sont anxieux, et pas toujours très patients », commente une infirmière. Malgré cette abstention forcée, plus de 71 % de l’équipe a participé au vote, et près de 77% d’entre eux refusent la réorganisation de leurs horaires de travail. « Cela n’a pas empêché la direction de soumettre d’ores et déjà les nouveaux plannings en douze heures, commente Angeline. De toute façon, le personnel de nuit a prévenu qu’il ne les fera pas, il est prêt à prendre des blâmes s’il le faut. »

« C’est l’offre de soin qui est mise à mal, explique Gérard Avena, du syndicat Sud Santé. Ils ferment les urgences de Sainte-Marguerite parce que, selon eux,deux services d’urgence peuvent suffire à Marseille [ceux de la Conception et de l’hôpital Nord,ndlr], étant donné les progrès de la médecine et la baisse de la population. Mais, parallèlement, se construit à la Joliette l’hôpital privé Euroméditerranée, où sont prévues des urgences… Et qui,dans le cadre du plan hôpital 2012 de Roselyne Bachelot,a empoché 54millions d’euros publics ! Sur la même enveloppe, l’AP-HM n’a récupéré que 9 millions pour du renouvellement informatique ! »

Regroupement, restructuration, retour à l’équilibre… La loi de juillet 2009 « Hôpital, patients, santé et territoire » de Roselyne Bachelot conduit d’une part à contraindre l’hôpital public à la rentabilité, et d’autre part à faire la part belle aux entreprises privées de santé. « À Sainte-Marguerite se crée un service de soins de suite et de réadaptation, poursuit Gérard. Il y en a besoin : à Marseille, c’est impossible de se faire rééduquer à l’hôpital. Mais là, sur le site même de Sainte-Marguerite, ce service va être ouvert par la Clinique Saint-Martin et La Phocéanne, des boîtes privées ! J’appelle ça “faire entrer le loup dans la bergerie”. » Si ce n’est pas du remplacement de fonctionnaire…

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