Grand projet touristique nuisible dans le Haut-Bugey
Développer le tourisme en inventant l’eau chaude
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Pendant trois semaines, ils ont pris la route pour informer et discuter. En avril, les opposant.e.s à trois projets de Center Parcs 1 ont uni leurs forces pour sillonner les routes entre Rhône-Alpes et Bourgogne-Franche-Comté à bord de la caravane Nina (Ni ici, ni ailleurs !). Chaque jour, ils ont fait relâche dans une ville différente, proposant discussions, pièce de théâtre, projections et mise à disposition de livres et de brochures. Dans le viseur, « la touristification et marchandisation du monde ».
Le 11 avril, la caravane passait par la salle des fêtes d’Hauteville-Lompnes, dans le Haut-Bugey (Ain). Elle y a retrouvé des membres du collectif local Hauteville-Valromey, en lutte contre l’installation de canons à neige et contre des forages pour trouver de l’eau chaude. Une soixantaine de personnes ont ainsi échangé autour de ce qui les unit : l’opposition à des grands projets touristiques nuisibles. L’occasion d’un coup de projecteur sur ceux, particulièrement mégalos, portés par la municipalité d’Hauteville-Lompnes et la communauté de communes du Plateau d’Hauteville.
Le bourg de 3 700 habitants a connu, il y a longtemps, son heure de gloire grâce à ses nombreux sanatoriums, l’air local étant jugé bénéfique aux tuberculeux. Mais avec l’invention de la pénicilline en 1947, qui permet de soigner la tuberculose, patatras : au fil des ans, les curistes se font de plus en plus rares. Certains sanatoriums ferment, d’autres se reconvertissent tout en restant dans le médical. Aujourd’hui, la ville compte ainsi un Ésat2, un centre de repos et de réadaptation, un autre de traitement des addictions, un IME 3 et un Ehpad 4. Bref, la santé et le social restent parmi les premiers secteurs d’activité pour la commune et le plateau alentour.
Ce qui se retrouve dans la sociologie locale : en ville, on croise notamment des précaires des hôpitaux (ainsi que de l’industrie du bois), des curistes, des travailleurs sociaux surmenés et des paysans fuyant la pression foncière des plaines. Pas vraiment la clientèle rêvée pour le casino implanté à l’entrée de la ville depuis 2003… Supposé dynamiser la vie locale, celui-ci a surtout multiplié les pertes. À tel point que son propriétaire, le groupe Partouche, l’a revendu en 2015. Depuis, la municipalité a décidé de développer un autre secteur d’activité : les sports d’hiver. Et elle le fait à sa manière. Très particulière.
Tourisme à coup de canons
En 2015, la municipalité et la communauté de commune se piquent ainsi de relancer la micro-station de la commune, qui s’étend de 925 à 1 194 mètres d’altitude et comprend quatre téléskis pour huit pistes. Elles décident alors d’installer des canons à neige, alimentés par l’eau d’un lac semi-naturel. Coût du projet ? Un million d’euros 5. Soit beaucoup d’argent pour une idée absurde : en ces temps de réchauffement climatique, il faut être sacrément optimiste (ou idiot) pour imaginer qu’une petite station située à 900 mètres dans l’Ain et orientée plein ouest puisse bénéficier d’un enneigement suffisant, même artificiel…
Un collectif se constitue rapidement pour contester le projet, mais la communauté de communes fait la sourde oreille. Ce n’est qu’en menaçant de perturber le passage du Tour de France que ses membres sont finalement reçus. Et ils doivent aussi batailler pour avoir accès aux études préalables, réduites à leur plus simple expression : « L’étude “ faune et flore ” a été réalisée en l’espace d’une journée, en juin – rien de représentatif », souligne une membre du collectif. « Quant à l’étude “ météo ”, elle est basée sur des données recueillies à la station des Rousses, située à 70 kilomètres et plus haute de 200 mètres… », abonde un autre.
Qu’importe, les canons à neige entrent en service en décembre 2016. Démontrant rapidement leur (presque) complète inutilité. La station ne fonctionne qu’une dizaine de jours pour la saison 2016-2017. Et ne s’en tire pas mieux à l’hiver suivant : « 11 000 mètres cubes de neige artificielle ont été produits début décembre 2017, poursuit l’opposant. Mais ils ne sont pas restés longtemps : vu l’orientation des pistes, la première perturbation océanique venue les a fait disparaître en moins de deux jours… » Le bide total.
De ce bilan pas brillant, la communauté de communes a tiré des leçons… en initiant un projet similaire pour la micro-station voisine des Plans d’Hotonnes – neuf téléskis à 1 100 mètres. L’orientation et l’altitude sont certes un peu plus favorables, mais il n’y a pas d’eau disponible pour alimenter les canons. Bis repetita...
Résistances aux forages
À Hauteville, on n’a pas (beaucoup) de neige, mais on a des idées ! Enfin, surtout le maire6. Bernard Argenti est allé chercher sa dernière lubie dans les bas-fonds de ce plateau karstique : lancer un centre aqualudique alimenté à l’eau chaude ! Une sorte de station thermale, créée à grands coups de TNT. Le projet repose sur la supposition qu’il y aurait de l’eau à 38°C dans une faille karstique située à 900 mètres de profondeur. « Supposition », parce que ce sont juste les deux baguettes de noisetier d’un sourcier qui l’affirment...
La réaction locale, cette fois, est rapide. Il faut dire qu’à force, les habitant.e.s s’y connaissent en forages. Il y a 30 ans, Esso a cherché du pétrole sur le plateau – les recherches exploratoires ont souillé une source, la rendant non potable. Puis le pétrolier est reparti comme il était venu, expliquant que l’exploitation du gisement ne serait pas rentable. D’autres compagnies ont retenté le coup à la fin des années 2000. Plus nombreux et mieux organisés, les opposant.e.s les ont mises en échec, réussissant à faire annuler le permis par l’État.
Bref, à Hauteville, la résistance au forage tient d’une longue histoire. « Quand on a entendu parler de cette idée de creuser à la recherche d’eau chaude, on a tout de suite cherché à en savoir plus, explique une opposante. Ici, c’est un plateau karstique, milieu complexe et très fragile. Forer aura forcément des conséquences. » Un recours est donc lancé contre le projet, mais il n’est pas suspensif – les travaux devraient commencer d’ici peu et coûter une fois et demie plus cher que prévu. Une précipitation qui n’étonne même plus les habitant.e.s : « C’est la stratégie habituelle : le maire fonce avant d’obtenir des garanties financière, juridique et technique. Ce qui laisse moins de temps pour organiser la lutte. » Pour légitimer son projet, la municipalité prétend aussi avoir sous le coude un investisseur privé décidé à allonger des euros. Mais sans jamais en livrer le nom...
« Clientèle de classes moyennes »
Retour à la salle des fêtes. Depuis le début de la soirée, une personne assise au fond de la salle n’a cessé de lever les yeux au plafond et d’afficher une mine consternée. C’est le maire lui-même, venu écouter ce qui se disait. Voilà deux heures que ses oreilles sifflent, quand une participante s’agace : « Sérieusement, quels sont les arguments des gens lançant un tel projet ? C’est une vraie question : sur quoi s’appuient-ils pour considérer ça pertinent et utile ? » Les regards se tournent enfin vers l’édile. Qui a pris la poudre d’escampette, d’un pas pressé.
Deux ans plus tôt, pourtant, il avait donné des éléments de réponse 7, évoquant notamment le classique « générateur d’emplois ». Il avançait aussi que cela « pourrait susciter la construction d’un bel hôtel », avant de conclure : « Nous voulons attirer la clientèle des classes moyennes, sur un bassin de population de plusieurs millions d’habitants installés entre Lyon et Genève. » Finalement, loin d’inventer l’eau chaude, l’édile ressasse la même vision du monde que nombre de ses collègues : les classes moyennes, c’est bien, ça ne fait pas de vague, ça se couche tôt, ça consomme et ça va à la piscine.
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Cet article est issu du dossier « Tourisme : plus loin, plus vite, plus rien », publié dans le n°167 de CQFD en juillet-août 2018.
En voir le sommaire.
1 Ceux de Poligny, du Rousset et de Roybon.
2 Établissement et service d’aide par le travail.
3 Institut médico-éducatif.
4 Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
5 Une facture réglée par l’intercommunalité et le département, avec le soutien du « Plan neige » initié par le président de région Laurent Wauquiez (LR).
6 Depuis la fusion de la commune avec trois voisines au 1er janvier 2019, il n’est plus que maire délégué [Note du webmaster].
7 Dans « Hauteville les Bains, c’est pour demain ? », article mis en ligne le 02/06/16 sur le site du journal Le Progrès.
Cet article a été publié dans
CQFD n°167 (juillet-août 2018)
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Paru dans CQFD n°167 (juillet-août 2018)
Dans la rubrique Le dossier
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Illustré par Mickomix
Mis en ligne le 19.02.2019
Dans CQFD n°167 (juillet-août 2018)
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