Postiers en grève à Marseille

Délit de barbecue

Pour les postiers marseillais, les raisons de faire grève ne manquent pas : dégradation de leurs conditions de travail et mépris de leur hiérarchie. De barbecue en manif, ils tentent de mobiliser. Récit d’une histoire vécue.
Par Mortimer

« Les Dodgers pratiquent l’art de l’esquive, tu comprends », me dit un postier bien au fait des péripéties de ce club de supporters, en retournant les merguez sur le brasero. Il est midi pile ce 17 avril 2018, au centre de courrier de Saint-Just (qui regroupe les 4e et 14e arrondissements de Marseille). Et c’est la grève ! Cela n’empêche pas de parler foot, langage universel en terre phocéenne.

Une cinquantaine de postiers ont débarqué à l’arrière du bâtiment, là où les facteurs prennent le courrier pour la tournée quotidienne. En un tournemain sont apparus cubis de rosé et de rouge, puis le barbecue. Ici la grève n’est pas que parlotte : partager un repas, c’est le b.a-ba.

La Poste, nid de galères

La direction de La Poste réorganise le travail en catimini : les Hauts-de-Seine, l’Ille-et-Vilaine, la Gironde et les Bouches-du-Rhône sont en grève en ce moment. Vent debout contre les suppressions de tournées. « On est passé de 25 centres de courrier à cinq sur toute la France, soit 200 personnes en moins, explique Lotfi. Même si la quantité de courrier baisse, le travail devient intense.  »

Sabrina raconte que les cadres qui les remplacent pendant les grèves ont mal au dos : « En théorie, on ne doit pousser qu’un seul chariot. Mais si vous respectez cette consigne, on vous engueule parce que vous ne faites pas le chiffre annoncé. Si bien que nous sommes nombreux à souffrir d’hernies discales.  » Après 17 années à la plateforme industrielle du courrier, sa santé a pris cher. Elle est désormais cantonnée à un poste assis.

Nico partage son amertume. Pour lui, le quotidien des facteurs s’est dégradé avec l’informatisation des tâches et la multiplication des services : « Tu vois, on aimerait avoir du temps pour vivre aussi. Pas être des machines aux ordres de machines.  »

Alors que le barbecue grésille, entouré d’une centaine de travailleurs, un postier arborant autocollant jaune sur pull bleu empoigne sa guitare et joue du Cabrel. L’atmosphère se réchauffe. C’est le moment que choisit Yann, un grand gaillard syndiqué à Arles, pour monter sur un parapet. Il rugit comme un lion. On doit l’entendre jusqu’à Aubagne. Le message est clair : renforcer la lutte et se réjouir d’être ensemble. Puis Serge prend la parole, notant que la direction fait tout pour durcir le conflit. «  Ça fait dix ans qu’on n’a pas été ensemble sur le département. Il faut en profiter !  » Des acclamations répondent à la harangue.

On tape sur trois grosses caisses avec une furieuse énergie. Aux baguettes, Laurent, un Auvergnat au sang chaud, et un pote musicien, ancien salarié en CDD de La Poste venu en soutien. Debout depuis 4 h du matin, ils débordent d’énergie. Des guerriers.

Yann rassemble les troupes pour envisager la suite. Les cadres attendent, eux, à l’affût devant les portes. Les deux camps se font face. Ils n’ont rien à se dire.

Barbecue vaincra

Le 19 avril, sur La Canebière, les postiers distribuent un tract invitant à un autre barbecue. « Peut-être une Sardinade ? », suggère Laurent. Yann attrape le micro du camion Solidaires et lance des slogans. une fois le cortège arrivé à Castellane, il scande un discours où il fustige Macron et la direction de La Poste. Derrière, on approuve, on se marre. Sur le camion, Coco annonce un drame : il n’y a plus de Ricard !

Une heure plus tard, à la réunion interpro chez Solidaires, les postiers semblent un peu découragés. Il est 14 h, la fatigue les plombe. Mais l’ambiance réconforte. Chaque secteur en lutte, le verre à la main et la cacahuète haute, raconte sa mobilisation. Douce fin de journée.

Les grévistes se retrouvent quelques jours plus tard pour un nouveau pique-nique. Sauf que cette fois, un huissier et quatre managers bloquent l’accès au centre, les bras croisés, ne laissant entrer que les non-grévistes. Mais ils font l’erreur d’ouvrir le portail : tout le monde se précipite et investit la plateforme. Il y a là une centaine de personnes, dont de nombreux soutiens : cheminots, profs, retraités...

Yann s’accroche avec un chien de garde postal au vocabulaire limité. Avant de s’adresser aux grévistes et à leurs soutiens : « Ils veulent nous les foutre à zéro et la paye à zéro. Faire crever les gens ! » Et de conclure : « Ils ont même inventé le délit de barbecue ! »

Christophe Goby
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