Toute une science

De quelques techniques de manipulation commerciale

Depuis un bon siècle, les professionnels de la propagande, de la publicité et du marketing se basent sur les acquis de la psychologie sociale pour vendre des idées et des produits. Petit passage en revue.
Par Plonk & Replonk

Vous êtes dans la rue. Vous avez un petit achat à faire mais mince, il vous manque 50 centimes. Et la plupart des passants vous envoient bouler... Conseil : avant de leur demander une pièce, demandez-leur l’heure qu’il est. Comme par magie, ils seront bien plus nombreux à vous donner un peu de monnaie. Sceptique ? Dans les années 1970, un chercheur américain a méthodiquement comparé ces deux approches dans les rues d’Albuquerque, au Nouveau-Mexique. Résultat : quand la pièce était demandée tout de go, seule une personne sur dix donnait. Quand l’expérimentateur avait demandé l’heure au préalable, sa requête obtenait quatre fois plus de succès…

La psychologie sociale l’a montré dans une foule d’expériences : demander peu avant de demander beaucoup multiplie les chances de réussite. Cette technique de manipulation basique porte un nom évocateur, rappelant la grande époque du démarchage commercial à domicile : le pied dans la porte. Si vous réussissez à rentrer chez les gens, votre onéreuse encyclopédie en 15 volumes est déjà à moitié vendue !

Une autre pratique couramment utilisée dans la vente est appelée l’amorçage. Elle est basée sur la difficulté que nous éprouvons le plus souvent à revenir sur une décision prise. Il s’agit donc pour le vendeur de leurrer le client pour générer chez lui une décision d’achat, avant de changer les termes du contrat au dernier moment. Dans leur excellent Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens1, les chercheurs Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois donnent l’exemple suivant : il est 14 heures, vous voyagez en voiture, vous crevez la dalle et vous voyez, sur le bord de la route, un restaurant proposant un « menu touristique » à bon prix. Profitant de l’aubaine, vous vous arrêtez. Ce n’est qu’une fois installé que vous apprendrez que ce tarif avantageux n’est pratiqué que jusqu’à 13 h 30, et que l’entrée comme le vin ne sont pas inclus dans le menu. Il y a de fortes chances que vous ne fassiez pas machine arrière et sortiez délesté d’une somme que vous n’aviez absolument pas prévu de dépenser...

Pepsi ou Coca ?

Depuis un bon siècle, les professionnels de la propagande, de la publicité et du marketing se basent eux aussi sur les acquis de la psychologie sociale pour vendre des idées et des produits.

Un des mécanismes qu’ils utilisent fréquemment est le conditionnement évaluatif, sur lequel repose le placement de marques dans les films et autres séries TV. Il s’agit d’opérer un transfert « de la positivité du contexte (scène, situation, visages, etc.) sur la marque ou le produit qui s’y trouve, apparemment par hasard ». Une expérience menée au début des années 1980 a démontré la puissance du procédé. Pendant une minute, des chercheurs ont exposé leurs sujets à l’image d’un stylo, bleu clair pour certains et beige pour d’autres. Pendant cette minute, une musique était diffusée, agréable pour certains et désagréable pour d’autres. En repartant, les participants recevaient un cadeau en guise de remerciement : ils avaient le choix entre un stylo bleu clair et un stylo beige. Résultat ? « 79 % de ceux qui avaient été exposés à une musique plaisante choisirent un stylo de la même couleur que sur [l’image. Et] 30 % seulement des sujets exposés à une musique désagréable choisirent un stylo de la même couleur que sur [l’image] qu’ils avaient visionnée. »

Pas forcément besoin de passer par le conditionnement évaluatif pour influencer les consommateurs. Parfois, une simple exposition suffit. C’est-à-dire qu’à force de voir le nom ou le logo d’une marque (même si cette vision est si brève que nous ne nous en rendons même pas compte), nous avons tendance à développer avec elle une familiarité qui nous poussera à acheter ses produits. Dès 1968, une expérimentation scientifique avait permis d’objectiver ce phénomène. « Les sujets devaient lire des mots sans aucune signification pour eux (par exemple : dilikli), qu’ils pensaient être d’origine turque. » Certains mots leur étaient présentés une fois, d’autres deux, cinq, dix ou vingt-cinq fois. On montrait ensuite tous les mots aux participants, en leur demandant s’ils désignaient, selon eux, quelque chose de bien ou quelque chose de mal. Résultat : « Les mots présentés le plus grand nombre de fois avaient acquis une connotation plus positive que les autres. »

C’est de la connaissance de ce genre de phénomènes que le marketing tire une grande partie de sa force. Une puissance dont l’ampleur a été démontrée par plusieurs expériences portant sur la question suivante : préférez-vous le Coca ou le Pepsi ? Quand les sujets ignorent ce qu’ils boivent, la majorité apprécie davantage le Pepsi. Mais s’ils connaissent la marque du breuvage qu’ils dégustent, la plupart préfèrent le Coca. Et vous, vous buvez quoi ce soir ?

Clair Rivière

1 Presses universitaires de Grenoble, 2014. L’essentiel de cet article (citations incluses) est tiré de cette efficace œuvre de vulgarisation scientifique, dont les auteurs pourraient cependant s’interroger avec profit sur les stéréotypes de genre qu’ils véhiculent.

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