Brice Couturier est un éditocrate réac, ennemi de longue date des « islamo-gauchistes » et de l’honnêteté intellectuelle. Le 21 août, six jours après la chute de Kaboul, il twitte la photo d’une avenue parisienne déserte, accompagnée de cette légende : « Les femmes afghanes, retombées sous la coupe des islamistes talibans, remercient les féministes intersectionnelles pour la grande manifestation de solidarité, organisée à Paris afin de les soutenir dans leur lutte pour l’égalité des droits. »
Même mauvaise bouillabaisse chez l’écrivaine Rachel Khan, qui le 22 août signait une tribune dans le Journal du dimanche : « En France, certaines féministes approximatives, dites néoféministes, n’ont à l’égard [des appels à l’aide des femmes afghanes] qu’une seule réponse : le silence. [...] Ce silence n’a rien de surprenant si l’on suit à la lettre les préceptes du féminisme intersectionnel décolonial qui vantent notamment les effets positifs de réunions non mixtes quand les talibans construisent des murs pour séparer les femmes des hommes. Leur seule obsession est de nourrir des théories morbides pour se venger de l’Occident. Totalement obsédées par la domination coloniale, certaines se réjouissent de l’arrivée des talibans et de leur islam radical. » L’once du début d’une preuve des infamies ici avancées ? Une source quelconque ? Wallou. Le Grand Prix de l’outrance ? Décroché haut la main.
Toute honte bue, une petite troupe d’intellectuels conservateurs français instrumentalise donc la situation critique des femmes afghanes pour casser de la féministe... « Accuser les femmes de jouer un rôle dans une situation créée par des hommes est le genre de mouvement surréaliste que seul le patriarcat peut réaliser », a commenté Rokhaya Diallo dans les colonnes du Washington Post [1]. Et la militante antiraciste de faire remarquer que ces accusations indécentes nageaient en plein délire.
Un exemple : l’association Pourvoir féministe, qui invite « à penser la lutte contre le validisme, le racisme, les LGTBphobies, la grossophobie de façon transversale, en tout lieu et en tout temps » (autant dire que dans le genre intersectionnel, elle se pose un peu là) s’est démenée auprès de l’ambassade de France à Kaboul, relate Causette [2], pour faire évacuer 82 « femmes particulièrement en danger avec le retour des talibans ». « Il s’agit de militantes des droits des femmes, filles et minorités de genre, actrices associatives, universitaires ou directrices d’école qui sont désormais les premières cibles de la vengeance des talibans en raison des combats qu’elles mènent », a expliqué au magazine la fondatrice de l’association, Anaïs Leleux.
Pendant que les réacs pérorent, une pétition déposée sur Change.org [3] réunit des féminismes de toutes obédiences. Elle commence par ces mots : « Nous, féministes et femmes de tous les genres, de toutes les divergences, de toutes les écoles, de toutes les sphères sociales et politiques, nous décidons aujourd’hui d’enterrer la hache de guerre et la géopolitique et de faire front dans un seul objectif : la vie et la liberté pour les Afghanes, l’ouverture de nos frontières et l’accueil inconditionnel de nos sœurs et de leurs familles. »
L’accueil des réfugiés : c’est bien là désormais le nœud du combat. Avec un président de la République donnant dans le « en même temps » le plus foireux à ce sujet (« protéger celles et ceux qui sont les plus menacés » tout en se protégeant « contre des flux migratoires irréguliers importants ») et une campagne électorale naviguant d’ores et déjà en eaux brunes, la lutte est loin d’être gagnée. À Calais, en cette fin d’été, la police continue de harceler les exilés – les Afghans comme les autres.