D’un cycle, l’autre

IL Y A UN AN, l’avenir de la boîte était plus que compromis, et tout le monde parlait de la fermeture de l’usine et même du groupe (qui est devenu minuscule avec moins de mille salariés alors qu’il en avait connu quinze fois plus). La direction générale restait dans le flou mais c’était une situation qu’on connaissait bien, puisque depuis vingt-cinq ans les plans de restructuration se sont suivis les uns après les autres. Et voilà qu’en septembre 2007, la tendance s’est inversée et des tonnes d’engrais sont sorties des trois usines restantes. Des records de production ont été atteints, avec moins d’ateliers de fabrication et beaucoup moins de salariés, pour un produit qui se vend encore plus cher qu’avant, bien plus cher.

Que s’est-il passé ? Les agriculteurs céréaliers ont vu leurs profits augmenter considérablement avec le coup des « bio »-carburants et l’arrivée de pays très demandeurs comme la Chine et l’Inde.D’autre part, des jachères ont été réutilisées pour ce fameux carburant.Plus de fric chez les céréaliers, signifie investissements dans les engrais pour augmenter encore davantage les rendements et bénéfices mirobolants pour la filiale engrais de Total, GPN (ex- Grande Paroisse), au cours des huit derniers mois (les plus gros bénefs de l’industrie chimique française pour l’année).

L’activité des engrais est très cyclique et,une fois que les agriculteurs et les coopératives auront rempli leurs cases d’engrais, il n’est pas évident que l’embellie continue. L’été, les usines d’engrais arrivant dans la période creuse de production,c’est là que les travaux sont faits. Travaux pour changer des machines et matériaux usés ou pour améliorer la productivité. Et surtout travaux pour répondre aux besoins de l’administration qui impose un certain nombre de vérifications et de changements de matériel, tous les trois, cinq ou dix ans.

La grande majorité des ateliers sont donc arrêtés, démontés, désossés. Toute l’usine est un véritable chantier. Alors qu’on n’était plus habitué à voir ça, il y a du monde partout, des prolos partout.Ils sont 500 à être venus pour les différents travaux, et il y a même une pointe de 700 prévue. Sur une usine qui ne compte plus que 300 salariés, ça se voit.Il s’agit surtout de soudeurs, ajusteurs et mécaniciens et l’usine prend des allures de chantier du BTP. Des ouvriers de différentes boîtes « spécialisées » se croisent. Ils ont des statuts différents, des salaires différents aussi. Ils sont intérimaires la plupart du temps. C’est très difficile de contrôler s’ils font trop d’heures supplémentaires ou de voir s’ils travaillent bien dans des conditions sécurisées. La direction, qui a créé des cellules de surveillance, affirme qu’il n’y aura pas de dépassement d’heures supplémentaires mais, en même temps, elle pousse à la roue pour que les travaux soient faits dans un minimum de temps. En plus de ces chantiers, un nouvel atelier est en cours de construction. Du jamais-vu depuis plus de quinze ans.Il servira à fabriquer de l’acide nitrique,entraînera la fermeture de deux autres unités et surtout emploiera moins de monde pour le conduire (et de ça, personne n’en parle). C’est une entreprise tchèque qui gère l’affaire et le chantier est carrément entouré de grilles et de balustrades, non pas pour en interdire l’accès, mais pour que les ouvriers polonais et tchèques venus ici ne viennent pas voir nos installations de trop près et, donc, faire de l’espionnage. Vu l’âge de nos installations, je ne vois pas ce qui pourrait les intéresser.

Et je ne vous dis rien sur la dizaine d’ingénieurs chinois venus se former pour gérer une installation d’engrais chez eux. Ils sont confinés dans une salle à l’extérieur de l’usine et ne peuvent voir que ce que la direction veut bien laisser transparaître. S’ils n’ont plus de commissaire du peuple pour les accompagner, ils ne peuvent rencontrer que quelques personnes techniquement assermentées. Impossible pour nous de les côtoyer. Voilà ce qui se passe ce mois-ci.

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Paru dans CQFD n°57 (juin 2008)
Dans la rubrique Je vous écris de l’usine

Par Jean-Pierre Levaray
Mis en ligne le 14.07.2008