Défendre ce qui naît de la lutte

Commune évidence

Dans La forme-Commune (La Fabrique), l’historienne Kristin Ross part de l’expérience de Notre-Dame-des-Landes pour imaginer de nouvelles alliances révolutionnaires. Inspirant.

Au départ de La forme-Commune – La lutte comme manière d’habiter (La Fabrique, mai 2023), les visites de l’historienne Kristin Ross, spécialiste de l’imaginaire de la Commune et de Mai 68, sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (NDDL). Au lieu du protocole routinier des activités universitaires, Ross s’y fait trimballer d’une cabane à l’autre, avant de mener un troupeau de vaches dans son champ, d’aider une voisine à récupérer des chevaux échappés et de filer la main aux foins. L’expérience est celle d’un autre rapport au temps, plus «  approprié  », écrit-elle en citant le philosophe Henri Lefebvre, condition d’une autre organisation de l’espace.

Malgré le côté Petite maison dans la prairie, les perspectives politiques sont riches. L’historienne ressuscite d’abord l’étonnant Mai 68 nantais, où une Commune organise pendant plusieurs semaines le ravitaillement de la population, la garde des enfants, le ramassage des ordures. La condition de cette organisation de grande ampleur : une alliance alors inédite entre ouvriers, étudiants et des paysans très structurés politiquement. Occulté par la mémoire des grandes grèves ouvrières, cet épisode ressurgit des mémoires – comme l’occupation du Larzac – au début des années 2010, quand NDDL devient zone à défendre (ZAD). Car les deux luttes mettent en évidence ce que les sociologues Maria Mies et Veronika Bernholdt-Thomsen appellent « le principe de subsistance », « qui fait de la vie et de la préservation du vivant son principe central »1 et permet la « création progressive d’un tissu de solidarités vécues ».

Se battre pour un lieu

Comparant NDDL aux luttes contre les aéroports de Narita (Japon) et de Mirabel (Canada) dans les années 1970, Ross propose de repenser entièrement l’histoire sociale et politique des deux derniers siècles : malgré le dédain de la gauche depuis Marx envers le monde rural, « il est bien possible que la bataille la plus conséquente soit la guerre menée contre la paysannerie dans le monde entier ». Or, à l’ère du capitalocène, « défendre les conditions de vie sur la planète est devenu le nouvel horizon incontestable de toute lutte politique », écrit-elle. Défendre, oui, un territoire dont l’on use et que l’on aime, plutôt que résister à un ennemi déjà vainqueur. Cet ancrage de la lutte dans un territoire pose des choix radicaux, qui engagent la vie matérielle et quotidienne de ses participants : « Se battre pour un lieu précis, ce n’est pas la même chose que se battre pour une idée. » Mais il pose aussi les bases d’une communauté politique vécue, qui constitue en elle-même une nouvelle valeur : « À mesure que la lutte s’approfondit, ce sont les nouveaux liens sociaux, les solidarités, les rapports affectifs et les entremêlements vécus produits pas la lutte même qui sont défendus. »

Par Laurent Perez

1 . Voir leur livre La Subsistance – Une perspective écoféministe, La Lenteur, 2022.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°223 (octobre 2023)

Ce numéro 223 inaugure notre nouvelle formule et n’a pas de dossier thématique. Ceci dit, plusieurs articles renvoient à un même thème, celui d’une France embourbée dans ses vieux démons. On y refait l’histoire de la stigmatisation du voile à l’école, on y raconte comment la parole xénophobe la plus crasse s’est libérée autour des arrivées à Lampedusa, on y parle de squats expulsés et d’anti-terrorisme devenu fou... Bref, on passe la France au scalpel et ça pue pas mal. Heureusement tout un tas de chouettes chroniques et recensions viennent remonter le moral !

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