Colère à vif

Nahel, 17 ans, une vie fauchée

Le film Nahel, un an après : la révolte étouffée revient sur la vague de colère qui a marqué la France après la mort de Nahel Merzouk, abattu d’un tir policier en juin 2023. Soulèvements, polarisation sur les réseaux sociaux, répression féroce : l’histoire se répète-t-elle toujours ?

« Ils ont tué le fils de Mounia » : voilà comment Maïssan apprend la mort de Nahel, son petit cousin de 17 ans, le 27 juin 2023. Les premières nouvelles tombent comme une onde de choc : abattu à Nanterre (Hauts-de-Seine), au volant d’une Mercedes, pour un refus d’obtempérer. Alors que le contre-récit d’État se met en marche – Nahel aurait « foncé » sur un policier –, une vidéo de la scène est diffusée en ligne. On y voit un agent de police relativement hors de danger, tirer à bout portant sur le conducteur. À peine quelques heures plus tard, les premières tensions éclatent dans le quartier du Vieux-Pont à Nanterre, avant de se propager au reste de la France.

Le film Nahel, un an après : la révolte étouffée, réalisé par Matthieu Bidan pour Street Press (et disponible gratuitement sur YouTube) revient sur cette terrible journée, et sur les événements qui l’ont suivi. Cinq chapitres – « le choc », « la contagion », « la bataille numérique », « l’histoire bégaie », « la répression » – viennent séquencer le récit de cette période faite de déni médiatique et politique, de racisme débridé et de violences policières. Sociologues, journalistes, militants et jeunes présents lors de ce que l’État ne tardera pas à nommer « émeutes », se succèdent à la caméra pour délivrer analyses et récits de ce que, eux, appellent « révolte ».

Alors que les médias ont très tôt dressé le portrait type du « jeune délinquant émeutier », le film dépeint une réalité plus complexe. Pour les jeunes présents, l’identification à Nahel fut l’élément déclencheur – l’un des interrogés énumère les révoltes de 2005, l’affaire Théo, George Floyd, et rappelle : « Je suis susceptible d’être en danger avec ma couleur de peau. » Et si certains se sont greffés pour commettre dégradations et pillages, selon le sociologue Marwan Mohammed, il s’agit surtout de l’expression d’une colère sourde. Il note d’ailleurs que certains ont cherché à « régler des contentieux politiques » avec « des institutions locales, des commerçants, des voisins, la police pour telle affaire ou un équipement public qui ne prend pas les enfants du quartier… »

Alors que le 30 juin, l’ONU accuse l’État français de « racisme systémique » et de « pratiques discriminatoires constantes », le pays s’enfonce dans un déni absolu. En ligne, l’extrême droite se déchaîne – selon Matthieu Ponzio, de Bloom Social Analytics, elle gagne même la bataille numérique – et sur le terrain 45 000 membres des forces de l’ordre sont mobilisés. À Marseille, Mohammed (27 ans) est tué par le Raid, et son cousin Abdelkarim (22 ans) perd un œil. Entre le 27 juin et le 10 juillet, 4 282 personnes sont placées en garde à vue. Une telle répression aura eu raison du mouvement. Mais Assa Traoré de rappeler que l’histoire ne peut se terminer comme ça : « On ne peut pas leur dire “fermer les yeux”, on ne peut pas leur dire “taisez-vous”, on ne peut pas leur dire “asseyez-vous” ! »

Gaëlle Desnos
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Cet article a été publié dans

CQFD n°236 (décembre 2024)

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